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Page:Le judaïsme avant Jésus-Christ.pdf/118

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niques l’emportera sur celle de l’Éden. Ce tableau avait déjà été tracé par l’ancienne prophétie avec une valeur symbolique[1]. Il est surchargé jusqu’au grotesque et avec le désir d’une crasse réalité dans les Apocalypses. La prophétie parlait de cieux nouveaux et de terre nouvelle, où la paixrégnerait même avec les bêtes féroces. L’Apocalyptique énumérera les grappes des raisins grossis et multipliés, les accouchements qui se succéderont sans terme et sans mesure[2].

Entre un passé embelli et un avenir de merveilles, le présent était sans couleurs, ou dépeint sous des couleurs très sombres, mais indécises. L’auteur ne pouvait y faire que des allusions voilées, pour ne pas trop se découvrir. Toute incursion dans le domaine des réalités, toute invective trop caractérisée, tout geste trop vif, lui auraient fait perdre le bénéfice du mystère. On ne peut être à la fois entre ciel et terre et jouer un rôle actif parmi les siens. L’inspiration divine et leur génie ont bien servi Daniel et saint Jean. Le caractère pratique et le but religieux, immédiat de ces admirables apocalypses éclatent en dépit du genre et leur donnent une valeur de vie. Aussi peut-on assez facilement reconnaître les circonstances où se plaçaient leurs auteurs. Il en sera ainsi d’Esdras, la plus belle apocalypse après ces deux chefs-d’œuvre, et en partie aussi de Baruch, conçu presque sur le même thème, de l’Assomption de Moïse… Dans beaucoup d’autres cas, il est extrêmement difficile, quelquefois impossible, de savoir quand les auteurs ont vécu, et dans quels événements ils veulent intervenir. Le secret qu’ils s’étaient imposé les couvre encore.

Ils ont même eu la précaution de détourner les recherches. Le dernier mot de toutes ces cachotteries fut une théorie formelle de l’apocalypse apocryphe ou cachée. Esdras écrit sous l’inspiration divine tous les livres saints perdus. Les uns sont livrés au public, et ce sont les livres canoniques ; les autres sont réservés et ne seront manifestés que plus tard. On ne s’étonnera donc pas de les voir apparaître, datés d’une époque ancienne, quoique personne n’en ait eu connaissance. Mais comment des livres, composés depuis des siècles, étaient-ils parvenus aux mains de celui qui les produisait au grand jour ? Les anges avaient veillé sur eux, pour les révéler, en temps opportun, à un dépositaire sûr, — l’auteur lui-même ! — chargé de les communiquer à des « hommes fidèles et qui me sont agréables, et qui ne prononcent pas mon nom en vain, » dit le Seigneur[3].

Le livre du voyant, fût-il censé antédiluvien, était donc lu, en grand mystère, à un cénacle d’hommes choisis, partageant la même foi et les mêmes espérances, crédules ou complices : il s’adressait à des initiés.

  1. Is., xi, 6-10.
  2. Nous aurons à revenir sur ce point.
  3. Hénoch slave, texte A, xxxv, 3.