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Page:Le judaïsme avant Jésus-Christ.pdf/79

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soleil et de la lune sont leur œuvre[1] : il n’est en rien, le monde même s’est formé par la rencontre fortuite des atomes. Protagoras d’Abdère, en sophiste, ne s’attachant qu’à poser des vraisemblances, ne voulait pas se prononcer sur l’existence et la nature des dieux, mais il insinuait que c’était par prudence. Les Athéniens le jugèrent suspect et le condamnèrent à mort[2]. Égaré par Aristophane, le public athénien ne jugeait pas Socrate autrement. On lui prêtait des arguments scientifiques pour nier l’existence de Zeus. Ce sont, aurait-il dit, plutôt les nuées qui sont déesses, puisque ce sont elles qui font pleuvoir et qui tonnent en se roulant les unes sur les autres[3]. Sensible à la démonstration morale, Socrate n’admettait pas non plus que la foudre fût dirigée par un dieu, puisqu’elle tombait sur les temples et épargnait les impies. Il fut condamné à boire la ciguë. L’athéisme recula, moins sans doute par la crainte du supplice que par l’autorité des grands penseurs, Platon et Aristote, qui persuadèrent les plus intelligents de l’existence du Bien Créateur et du premier moteur de toutes choses, mais qui s’arrangèrent après cela pour conserver aux cités les dieux qu’elles adoraient.

Ce n’était qu’un compromis fort instable parce que les questions religieuses ne sont point résolues par des traités signés sans conviction. L’unité de Dieu n’avait plus de défenseurs.

Ce fut alors que, disciple d’Aristote, Alexandre apparut. On a souvent comparé les deux plus grands génies militaires et politiques du monde ancien, César et Alexandre. César révèle sans doute plus de calcul, des combinaisons plus suivies, un art plus consommé. Alexandre c’est l’élan irrésistible d’une jeunesse fougueuse, un héros d’Homère bouillant comme Achille, mais portant avec lui toute la civilisation de la Grèce. César agrandit le domaine du peuple romain dont il entend fixer les destinées comme imperator à vie. Alexandre veut forger un monde nouveau. Il va jusqu’au bout d’une pensée généreuse.

Tandis que son maître Aristote, plus étroit de cœur, voyait dans les barbares les esclaves-nés des Grecs, Alexandre croit l’esprit grec assez fécond pour animer ce grand corps inerte de l’empire perse et on peut dire le monde entier. Les vainqueurs devront épouser des femmes d’Orient comme lui-même il épousa Roxane, et Grecs et Barbares ne formeront qu’un seul empire dominé par son génie.

Du même coup les cités grecques jusque-là autonomes et hostiles les

  1. Diels, Fragm. 55 A, 75.
  2. Diels, 530, d’après Sextus Empiricus, IX, 56 : περὶ δὲ θεῶν οὔτε εἰ εἰσὶν οὔθ’ὁποῖοί τινές εἰσι δύναμαι λέγειν· πολλὰ γάρ ἐστι τὰ κωλύοντά με. Il s’enfuit, et Cicéron (De nat. deor., I, 23, 63), dit qu’il fut seulement chassé.
  3. Les Nuées, 369-411.