Page:Le livre des mille nuits et une nuit, Tome 1, trad Mardrus, 1918.djvu/113

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
histoire du pêcheur avec l’éfrit
85

année. Et moi, je patientai sur elle tout le temps ; mais un jour, entrant chez elle à l’improviste, je la trouvai en train de pleurer et de se frapper le visage et de dire ces vers d’une voix triste :

Toi parti, ô bien-aimé, je délaissai les humains et vécus solitaire, car mon cœur ne saurait plus rien aimer, toi parti, ô bien-aimé !

Si tu viens à repasser près de ta bien-aimée, ô recueille, de grâce, sa dépouille mortelle en souvenir de sa vie terrestre, et donne-lui le repos de la tombe, où tu voudras, mais près de toi, si tu viens à repasser près de ta bien-aimée !

Ta voix ! qu’elle se souvienne de mon nom de jadis pour me parler sur la tombe ! Oh ! mais de ma tombe tu n’entendras que le triste son de mes os entrechoqués !

Quand elle eut fini sa plainte, je lui dis, et l’épée nue à la main : « Ô traîtresse, voilà les paroles des perfides qui renient les liaisons passées et foulent l’amitié ! » Et, levant le bras, je m’apprêtais à la frapper, quand elle se leva tout à coup et, apprenant ainsi que l’auteur de la blessure du nègre était moi, elle se leva debout sur ses pieds, et prononça des paroles que je ne compris point, et dit : « Que, par la vertu de ma sorcellerie, Allah te change moitié en pierre et moitié en homme ! » Et à l’heure même, seigneur, je devins comme tu me vois. Et je ne pouvais plus ni bouger ni faire un mouvement ; de la sorte, je ne suis ni un mort ni un vivant. Après qu’elle m’eût mis dans cet état, elle