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les mille nuits et une nuit

Je leur répondis : « De grâce épargnez-moi ces paroles ! Il n’y a point d’autre science que celle du Destin ! »

Car moi, avec toute ma science, tous mes manuscrits et mes livres et mon encrier, je ne saurais contre-balancer la force de la Destinée pendant un jour seulement ! Et ceux-là qui parieraient pour moi ne pourraient que perdre leurs arrhes !

En effet, quoi de plus désolant que le pauvre, l’état du pauvre et le pain du pauvre et sa vie !

Si c’est l’été, il épuise ses forces ! Si c’est l’hiver, il n’a pour se chauffer que le cendrier !

S’il cesse de marcher, les chiens se précipitent pour le chasser ! Il est misérable ! Il est un objet d’offenses et de moqueries ! Oh ! qui donc plus que lui est misérable ?

S’il ne se décide point à crier sa plainte aux hommes et à montrer sa misère, quel est celui qui le plaindra ?

Oh ! si telle est la vie du pauvre, que la tombe pour lui est donc préférable !

En entendant ces vers plaintifs, le khalifat dit à Giafar : « Les vers et l’aspect de ce pauvre homme indiquent une grande misère. » Puis il s’approcha du vieux et lui dit : « Ô cheikh, quel est ton métier ? » Il répondit : « Ô mon maître, pêcheur ! Et bien pauvre ! Et j’ai une famille ! Et, depuis midi jusqu’à maintenant, je suis hors de chez moi à travailler, et Allah ne m’a point gratifié encore du pain qui doit nourrir mes enfants ! Aussi je suis dégoûté de moi-même et de la vie, et je ne souhaite plus que la mort ! » Alors le khalifat lui dit : « Peux-tu revenir