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les mille nuits et une nuit

Mais, ô mon seigneur, une vie, quelque simple et limpide qu’elle puisse être, n’est jamais à l’abri des complications. Et je devais moi-même, à l’exemple de mes semblables, en faire bientôt l’expérience. Et ce fut sous l’aspect le plus enchanteur qu’entra dans ma vie la complication. Car, par Allah ! y a-t-il sur terre un enchantement comparable à celui de la beauté, quand elle élit, pour se manifester, le visage et les formes d’une adolescente de quatorze ans ? Et y a-t-il, ô mon seigneur, adolescente plus séduisante que celle qu’on n’attend pas, lorsque, pour nous brûler le cœur, elle emprunte le visage et les formes d’un jouvenceau de quatorze ans ? Car ce fut sous cet aspect-là, et non point sous un autre, que m’apparut, ô émir des Croyants, celle qui devait à jamais me sceller la raison du sceau de son empire.

J’étais en effet, un jour, assis sur le devant de ma boutique, et causais de choses et d’autres avec mes amis habituels, quand je vis s’arrêter en face de moi une dansante et souriante jeune fille parée de deux yeux babyloniens, qui me jeta un regard, un seul regard, et rien de plus. Et moi, comme sous la piqûre d’une flèche acérée, je tressaillis dans mon âme et dans ma chair, et je sentis tout mon être en émoi comme devant l’arrivée même de mon bonheur. Et la jeune fille, au bout d’un instant, s’avança de mon côté et me dit : « Est-ce bien ici la boutique privée du seigneur Abou’l Hassân Ali ibn-Ahmad Al-Khorassani ? » Et cela, ô mon seigneur, elle me le demanda d’une voix d’eau de source ; et elle était svelte devant moi et flexible dans sa grâce ; et sa bouche de vierge enfant, sous le voile de mousseline,