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les mille nuits et une nuit

sité et en profondeur. Et, de plus en plus, elle s’enfonça dans la tristesse et le désespoir.

Et voici qu’un jour entra dans le hammam une pauvre vieille, déjà tremblante sous le souffle de la mort, qui s’appuyait sur un bâton pour marcher. Et elle s’approcha de la fille du roi, et lui baisa la main, et lui dit : « Pour moi, ya setti, mes malheurs sont plus nombreux que le nombre de mes années, et ma langue se dessécherait avant que j’aie fini de te les raconter. C’est pourquoi je ne te dirai que le dernier malheur qui me soit arrivé, et qui est d’ailleurs le plus grand de tous, parce qu’il est le seul dont je n’aie compris ni le sens ni le motif. Et ce malheur m’est arrivé précisément hier, dans la journée. Et si je suis si tremblante devant toi, ya setti, c’est d’avoir vu ce que j’ai vu ! Or, voici :

« Sache, ya setti, que pour tout bien je ne possède que cette seule chemise en cotonnade bleue que tu vois sur moi. Et, comme elle avait besoin d’être lavée, afin qu’il me fût possible de me présenter d’une façon convenable au hammam de ta générosité, je me décidai à aller au bord de la rivière, en un endroit solitaire où il me fût loisible de me dévêtir, sans être aperçue, et de laver ma chemise.

« Et la chose se passa sans encombre, et déjà j’avais lavé ma chemise et l’avais étendue sur les galets au soleil, quand je vis s’avancer de mon côté une mule sans muletier, qui était chargée de deux outres pleines d’eau. Et moi, croyant que le muletier allait bientôt paraître, je me hâtai de remettre ma chemise qui n’était qu’à moitié sèche, et laissai passer la mule. Mais comme je ne voyais ni muletier ni ombre