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les rencontres… (le cheikh…)
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quartier, qui avaient coutume de venir s’asseoir sur le devant de ma boutique, pour s’entretenir de choses et d’autres, en respirant l’air du soir. Et ces deux notables de mon quartier étaient liés d’amitié, et aimaient à discuter entre eux tantôt sur un point, tantôt sur un autre, en égrenant leur chapelet d’ambre. Mais jamais il ne leur était arrivé, dans l’animation de leurs entretiens, de prononcer un mot plus haut que l’autre ou de se départir de l’aménité que, dans les rapports de la vie, les amis doivent aux amis. Bien au contraire ! Quand l’un parlait, l’autre écoutait, et réciproquement. Ce qui faisait que leurs discours étaient toujours sensés, et que moi-même, malgré mon peu d’intelligence, je pouvais faire mon profit de si belles paroles.

Et ce jour-là, une fois qu’ils m’eurent donné le salam, et que je le leur eus rendu comme il fallait, ils prirent leur place habituelle, devant ma boutique, et continuèrent un entretien qu’ils avaient déjà commencé durant leur promenade. Et l’un d’eux, qui s’appelait Si Saâd, dit à l’autre, qui s’appelait Si Saâdi : « Ô mon ami Saâdi, ce n’est pas pour te contredire, mais par Allah ! un homme ne peut être heureux en ce monde qu’autant qu’il a des biens et de grandes richesses pour vivre hors de la dépendance de qui que ce soit. Et d’ailleurs les pauvres ne sont pauvres que parce qu’ils sont nés dans la pauvreté, de père en fils, ou que, nés avec des richesses, ils les ont perdues par prodigalité, par débauche, par quelque mauvaise affaire ou simplement par une de ces fatalités contre lesquelles est impuissante la créature. En tout cas, ô Saâdi, mon opinion