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histoire du gâteau échevelé…
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alla s’asseoir, non loin de là, en le regardant avec des yeux de tigresse, et en méditant contre lui des projets terrifiants.

Et Mârouf, qui regrettait sincèrement son léger mouvement d’impatience, ne savait comment faire pour la calmer. Et il se décida à ramasser la kenafa qui gisait par terre au milieu des débris du plat, et, l’arrangeant proprement, il l’offrit timidement à son épouse, en lui disant : « Par ta vie, ô fille de l’oncle, mange tout de même un peu de cette kenafa-ci, et demain, si Allah veut, je t’apporterai de l’autre. » Mais elle le repoussa d’un coup de pied, en lui criant : « Va-t’en avec ton gâteau, ô chien des savetiers ! Penses-tu que je vais toucher à ce que te rapporte ton métier d’entremetteur des pâtissiers ? Inschallah ! demain je saurai faire entrer ta longueur dans ta largeur. »

Alors le malheureux, repoussé de la sorte dans sa dernière tentative de raccommodement, songea à calmer la faim qui le torturait depuis le matin, vu qu’il n’avait rien mangé de sa journée. Et il se dit : « Puisqu’elle ne veut pas manger cette excellente kenafa, je veux bien la manger, moi. » Et il s’assit devant le plat, et se mit à manger cette chose délicieuse, qui lui caressait le gosier agréablement. Puis il s’attaqua à la galette soufflée et au disque de fromage, et n’en laissa pas trace sur le plateau. Tout cela ! et sa femme le regardait faire avec des yeux flamboyants, et ne cessait de lui répéter, à chaque bouchée : « Puisse-t-elle s’arrêter dans ton gosier et t’étouffer ! » ou encore : « Si Allah veut, puisse-t-elle se changer en poison destructeur qui consume ton