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les mille nuits et une nuit

Un jour d’entre les jours, je marchais dans une des rues de Baghdad lorsque je vis venir de mon côté une troupe nombreuse de femmes. Aussitôt, pour les éviter, je pris vivement la fuite et me précipitai dans une ruelle, qui se terminait en cul-de-sac. Au fond de cette ruelle, il y avait un banc sur lequel je m’assis pour me reposer.

J’étais assis depuis déjà un certain temps, lorsque je vis en face de moi s’ouvrir une croisée, et une jeune femme y parut, qui tenait à la main un petit arrosoir, avec lequel elle se mit à arroser des fleurs placées dans des vases sur le bord de la croisée.

Seigneurs, je dois vous dire qu’à la vue de cette adolescente je sentis en moi se produire quelque chose que de ma vie je n’avais senti. Elle était, en effet, aussi belle que la lune dans son plein ; elle avait un bras aussi blanc et diaphane que le cristal, et elle arrosait ses fleurs avec une gentillesse qui me ravit l’âme. Aussi, à la minute même, mon cœur fut enflammé et complètement captif, ma tête et mes pensées ne travaillèrent qu’à son sujet, et toute mon horreur ancienne des femmes se transforma en un désir brûlant. Mais elle, une fois qu’elle eut arrosé ses plantes, elle regarda un peu distraitement à gauche, puis à droite, me vit et me lança un regard allongé qui me retira entièrement l’âme du corps. Puis elle referma la croisée et disparut. Et j’eus beau attendre là jusqu’au coucher du soleil, je ne la vis plus apparaître ; et j’étais comme un somnambule ou comme quelqu’un qui n’est plus de ce monde.