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Page:Le livre des mille nuits et une nuit, Tome 6, trad Mardrus, 1901.djvu/168

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les mille nuits et une nuit

ment légèrement écarté ses jambes pour permettre à l’air de pénétrer dans ma gorge.

Lorsqu’il me vit respirer, il me donna deux coups de pied dans l’estomac, pour m’obliger à me relever. La douleur me fit obéir, et je me remis debout sur mes jambes, tandis qu’il se cramponnait plus que jamais à mon cou. De la main il me fit signe de marcher sous les arbres ; et là il se mit à cueillir les fruits et à les manger. Et chaque fois que je m’arrêtais contre son gré ou que je marchais trop vite, il me donnait des coups de pied fort violents qui me forçaient à l’obéissance.

Il resta tout ce jour-là sur mes épaules, me faisant aller comme une bête de somme ; et, la nuit venue, il m’obligea à m’étendre avec lui, pour qu’il pût dormir, toujours attaché à mon cou. Et, le matin, d’un coup de pied dans le ventre il me réveilla pour se faire porter comme la veille.

Il resta ainsi cramponné sur mes épaules le jour et la nuit, sans discontinuer. Il faisait sur moi tous ses besoins liquides ou solides, et me faisait marcher sans pitié, à coups de pied et à coups de poing.

Aussi je vis bien que jamais je n’avais souffert dans mon âme autant d’humiliations et dans mon corps autant de mauvais traitements, qu’au service forcé de ce vieillard plus solide qu’un homme jeune et plus impitoyable qu’un ânier. Et je ne savais plus quel moyen employer pour me débarrasser de lui ; et je déplorais le bon mouvement qui me l’avait fait prendre en pitié, et porter sur mes épaules. Et vraiment, en ce moment, je me souhaitais la mort du plus profond de mon cœur.