« Et quand la nuit étend les voiles des ombres, elle vient me voir, la brune. Et je la retiens auprès de moi, jusqu’à ce que les ombres elles-mêmes deviennent de la couleur de nos songes ! »
« Mais toi, ô jaune, tu es fanée comme les feuilles de la mouloukhia[1] de mauvaise qualité que l’on cueille à Bab El-Louk, et qui est fibreuse et dure.
« Tu as la couleur de la marmite en terre cuite qui sert au marchand de têtes de mouton.
« Tu as la teinte de l’ocre et de l’orpiment dont on se sert au hammam pour s’épiler, et du chiendent.
« Tu as un visage de cuivre jaune, semblable aux fruits de l’arbre Zakoum qui, dans l’enfer, porte comme fruits des crânes diaboliques.
« Et c’est de toi que le poète a dit :
« Le sort m’a doté d’une femme à la couleur jaune si criarde qu’elle me fait mal à la tête, et que mon cœur et mes yeux tressautent de malaise.
« Si mon âme ne veut pas renoncer pour toujours à la voir, pour me punir je me donnerai de grands coups au visage, de façon à m’arracher les molaires ! »
Lorsque Ali El-Yamani eut entendu ces paroles, il se trémoussa de plaisir, et se mit à rire tellement qu’il tomba à la renverse, après quoi il dit aux deux adolescentes de s’asseoir à leur place ; et, pour leur prouver à toutes la joie qu’il avait eue de les enten-
- ↑ Mouloukhia : plante de la famille des liliacées, le corchorus trilocularis, dont on fait une soupe verte, mets fort estimé en Égypte.