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les mille nuits et une nuit

il alla trouver son épouse et, de fort méchante humeur, s’assit sur le divan sans la regarder ni lui adresser la parole. Alors elle s’approcha de lui et lui dit : « Bonsoir à toi ! » Il répondit : « Va-t’en de devant moi ! Du jour où je t’ai vue je n’ai plus rien vu de bon ! » Elle demanda : « Comment cela ? » Il dit : « La nuit de ma pénétration en toi, tu m’as fait prêter le serment de ne point prendre femme sur toi ! Et moi je t’ai écoutée ! Or aujourd’hui j’ai vu au Diwân chaque émir avec un fils ou même deux fils, et alors me vint la pensée de la mort ; et cela m’affecta à l’extrême puisque je ne suis gratifié ni d’un fils ni même d’une fille ! Et je n’ignore point que celui qui ne laisse pas de postérité ne laisse pas de mémoire ! Et tel est le motif de ma mauvaise humeur, ô stérile, ô mes semailles dans une terre de rocs et de cailloux ! » À ces paroles la rougissante jouvencelle répliqua : « Cela te sied de parler, toi ! Le nom d’Allah sur moi et autour de moi ! Le retard n’est pas de moi ! Et la chose n’est pas de ma faute. Moi je me drogue tellement que j’ai fini par user et trouer les mortiers à force d’y piler des épices, d’y pulvériser des simples et d’y concasser des racines bonnes contre la stérilité ! Mais c’est toi le ratardataire ! Tu n’es qu’un mulet sans vertu au nez camard, et tes œufs sont clairs avec de la semence sans consistance et des graines qui ne fécondent pas ! » Il répondit : « C’est bon ! Mais dès mon retour de voyage je prendrai une seconde femme sur toi ! » Elle répliqua : « Mon lot et ma chance sont sur Allah ! » Alors il sortit de sa maison ; mais, arrivé dans la rue, il regretta ce qui venait d’avoir lieu ; et