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phateur ? Il serait certes au-dessous de sa dignité de prêcher la pénitence. Aussi Esdras charge de cette mission des hommes enlevés de terre sans mourir, c’est-à-dire sans doute Hénoch et Élie[1]. Ce sont peut-être les précurseurs du Messie, car ils apparaîtront, comme lui, après le temps des grandes angoisses ; mais l’auteur ne le dit pas. L’invitation à la conversion vise le grand jugement, avec la même réserve que dans Malachie auquel cette pensée paraît empruntée[2]. Quoi qu’il en soit, cette attribution distincte montre combien peu Esdras comprenait le Messie comme un prédicateur de pénitence. Il ne l’a pas non plus nommé l’instrument du salut du monde[3] ; ce monde serait en tout cas le monde présent, un monde près de finir et sur le point d’être remplacé par un monde meilleur, mais il est presque certain que le texte doit être restreint à Israël, dont le Messie sera le libérateur.


L’Apocalypse de Baruch est coulée dans le même moule que celle d’Esdras, mais le métal en est moins noble. L’un des deux auteurs a imité, et l’imitateur doit être Baruch, dont les images sont moins naturelles et la réflexion théologique plus avancée. On ne compendrait guère que le problème des fins dernières ait inspiré à Esdras des accents si poignants, s’il l’avait traité en copiste. Baruch se le pose aussi, mais plus froidement ; c’est déjà un thème à spéculations et à discussions.

Moins original aussi, le messianisme de Baruch est, comme celui d’Esdras, au terme du monde actuel, et sert de transition au monde futur. Le point de départ de la révélation, c’est la destruction de Jé-

  1. vi, 26 : Et videbunt qui recepti sunt homines, qui mortem non gustaverunt a nativitate sua, et mutabitur cor inhabitantium et convertetur in sensum alium.
  2. Mal. iii, 24. M. Vaganay, comprenant le rôle du Messie dans le sens chrétien, se demande : « quelle sera ensuite la fonction du Messie, venant après ces apôtres, qui ont déjà ramené les hommes dans la voie de la vérité et de la justice » (p. 86). Il est probable que pour Esdras la question ne se posait pas du tout, car le rôle du Messie n’était pas si vulgaire.
  3. xiii, 26 : Ipse est quem conservat altissimus multis temporibus, qui per semetipsum liberabit creaturam suam, et ipse disponet qui derelicti sunt. Gunkel reconnaît, après Wellhausen, que per semetipsum est une fausse traduction de אֲשֶׁר־בּוֹ, « au moyen duquel ». C’est Dieu qui est sujet de salvabit ; il sauvera par le Messie. Mais il croit que le Messie n’en sera pas moins « Sauveur du monde ». Quelle est donc cette créature que Dieu sauvera ? le monde entier ? l’humanité ? mais cela dépasse absolument le rôle du Messie : nous croyons qu’il y a ici une erreur. L’hébreu était probablement קִנְיָנוֹ qui peut en effet se traduire création, cf. Ps. civ, 24 ; mais dont le vrai sens est : « sa propriété », son bien propre, Israël. Noter que l’éth. a renchéri dans le sens chrétien : ut redimat in eo mundum ; ar.2 au contraire : ut suos liberaret, ce qui est bien le sens. D’ailleurs, quel que soit l’hébreu, le grec κτῆσις a pu être transcrit κτίσις. Nous avons précisément ce cas dans le Ps. cv, 21 où le grec (Ps. civ, 21) τῆς κτήσεως αὐτοῦ, représentant קנינו, est devenu τῆς κτίσεως αὐτοῦ dans certains mss. (Sinaïticus, Alexandrinus).