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nouveaux qui ne fussent en quelque manière contenus dans une écriture déjà fixée et reconnue comme divine.

Cette situation tout à fait particulière ne peut être bien comprise que par contraste. Ce serait une erreur que de comparer la tradition des Juifs à la tradition de l’Église catholique. L’Église, fondée par Jésus-Christ, a été établie par les Apôtres qui prêchaient dans les chrétientés naissantes le salut en Jésus-Christ et par Jésus-Christ. Cet enseignement était antérieur à l’Écriture inspirée du Nouveau Testament et avait son autorité propre ; il était conservé comme un précieux dépôt par les pasteurs de chaque église. En cas de doute les Églises apostoliques se consultaient, et recouraient au Siège de Rome. L’Écriture sainte du Nouveau Testament contenait très peu de lois. Certaines règles avaient été posées par les Apôtres, mais, si celles-là étaient inviolables, l’Église crut toujours posséder un pouvoir législatif qui lui permît de modifier sa discipline selon les circonstances, dans l’intérêt de sa divine mission. Elle n’est donc pas enchaînée à l’Écriture comme à la seule règle de sa vie. D’ailleurs elle ne prétendit jamais régenter, avec les âmes, tous les intérêts publics et privés.

Le judaïsme, lui, ne se rattachait à la Révélation que par l’Écriture. Il n’avait jamais été constitué en Église[1]. Il n’avait qu’un dogme : l’existence du Dieu unique, si une proposition aussi primaire peut s’appeler un dogme. Ou plutôt il avait un second dogme : c’est que toute son existence religieuse, civile, familiale et domestique, était régie par une loi divine, dont on ne pouvait pas s’écarter et qu’on ne pouvait songer à réformer, du moins ouvertement. Il ne possédait donc ni tradition dogmatique, ni autorité disciplinaire. A un certain moment les rabbis constatèrent autour d’eux la foi à la résurrection des morts. Ils ne pouvaient songer à l’établir sur la tradition seule ; il fallait, à tout prix, en trouver la preuve dans l’Écriture. Et lorsque les circonstances paraissaient exiger une réforme, on ne pouvait l’imposer qu’en s’appuyant encore sur l’Écriture.

Ce fut le travail des rabbins, travail ardu et qui paraissait condamné à un échec. Comment trouver dans une lettre morte tous les développements d’une vie en marche ? Et si les solutions nouvelles n’étaient pas dans l’Écriture, comment les faire prévaloir ? Que pouvait l’avis d’un scribe contre la majesté formidable de la Loi ? A la longue cependant la tradition se forma. Elle avait pour elle de répondre aux nécessités de chaque jour ; elle se fortifiait avec le temps,

  1. Voir le bel article de Mgr Batiffol : Le judaïsme de la dispersion tendait-il à devenir une Église ? (RB., 1906, p. 197-209).