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jour en récitant le Chema, la confession du Dieu unique. Josué fils de Qarkha (vers 150 ap. J.-C.) demandait : Pourquoi récite-t-on dans le Chema le passage du Deutéronome vi, 4-9, avant xi, 13-21 ? Et il répondait : C’est afin de se soumettre d’abord au joug du règne du ciel, et ensuite à celui des commandements[1]. On ne peut donc songer à renvoyer ce règne à plus tard, ni s’y soustraire un seul instant. Quelques-uns des disciples de Gamaliel II (vers 110 ap. J.-C.) s’étonnaient qu’il eût récité le Chema la nuit de ses noces. « Je ne puis, répondit-il, me dispenser du joug du royaume du ciel même pour une heure »[2]. Le terme dont se sert ici Gamaliel II insinue que celui qui ne reconnaît pas le règne de Dieu le rend pour ainsi dire inutile, et, en quelque sorte, le détruit. Au contraire celui qui accepte ce joug fait régner Dieu ; Dieu, jusqu’alors roi du ciel, est devenu aussi roi de la terre par l’adhésion d’Abraham[3]. L’élection d’Israël avait précisément pour but d’établir parmi les hommes le règne de Dieu.

L’obéissance des hommes et leur fidélité ont donc pour résultat d’étendre et d’affirmer le règne de Dieu. Son droit, toujours le même, dépend en quelque manière des hommes quant à son exercice. Il en résulte que le règne de Dieu est éminemment moral. C’est, en effet, pour obéir à Dieu qu’on doit pratiquer la vertu. Éléazar ben Azaria, un moment président de l’école de Iabné, vers l’an 100 ap. J.-C., a donné à ce principe une forme originale et sans doute un peu exagérée : « On ne doit pas dire : Je n’ai aucun désir de porter des habits de tissus mélangés, ni de manger de la viande de porc, ni de contracter un mariage prohibé, je m’en abstiens donc. Mais qu’on dise : J’en aurais bien le désir[4], mais que dois-je faire après que mon Père dans le ciel m’a défendu tout cela ? Car il est écrit (Lév. xx, 26) : je vous ai séparés des peuples, afin que vous m’apparteniez ; qui se tient éloigné du péché doit en même temps reconnaître le règne du ciel[5] ! »

C’est toujours le même terme, reconnaître, accepter, prendre sur

  1. b. Ber. 13a.
  2. Michna, Ber. ii, 5 : לבטל ממני עול מלכות שמים אפילו שעה אחת.
  3. Texte du Sifrê (Dt. 113, éd. Fr. 134b) cité par Dalman (l. l., p. 79) : « Avant que notre père Abraham vînt au monde, Dieu n’était roi que sur le ciel ; mais quand Abraham vint, il le fit roi sur le ciel et la terre ». C’est la doctrine que nous avons constatée dans le livre des Jubilés (xii, 19).
  4. Ce désir ne serait pas coupable, car il s’agit, par hypothèse, de choses défendues par la loi cérémonielle et qui ne sont pas contre le droit naturel.
  5. Bacher, Die Agada der Tannaiten, I2, p. 219 s. d’après Sifrâ, h. l. (93d : נמצא פורש מן העברה ומקבל עליו מלכות שמים.