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de son sacrifice devenue] une abomination, et de ce qui reste[1], et qui se mortifie au jour de l’expiation, combien plus acquerra-t-il de mérite pour lui et pour les descendants de ses descendants jusqu’à la fin de toutes les générations !

On le voit, il n’est plus du tout question du Messie. Quel texte faut-il préférer ?

Comme on ne peut soupçonner Raymond Martini d’avoir lui-même fabriqué un texte pour convaincre plus facilement les Juifs, il ne reste plus que deux hypothèses. Ou bien il a eu sous les yeux une recension où l’on avait ajouté l’allusion messianique, ou bien c’est lui qui possédait la recension primitive, arrangée depuis autrement par les Juifs. La seconde hypothèse est peu vraisemblable, parce que tous les manuscrits connus soutiennent le texte actuel, parce que le Sifrâ s’occupe très peu du Messie ou même d’agada, parce que les préoccupations messianiques ont été plutôt en se développant au sein du judaïsme. On ne peut faire valoir en faveur du texte du Pugio qu’un argument de critique interne. Le raisonnement y est beaucoup mieux déduit. Le Messie s’oppose à Adam comme une personnalité supérieure ; il refait ce qu’Adam a défait. Dans le texte courant il est inouï qu’une action aussi banale que celle d’éviter une nourriture impure ou d’observer le jour d’expiation soit une source de mérites pour tous les descendants du premier venu, telle qu’on puisse la mettre en parallèle avec la transgression du premier homme. Si le texte le plus rationnel devait être regardé comme seul authentique, il n’y aurait pas à hésiter. Mais ce serait faire trop d’honneur à la casuistique rabbinique que de lui refuser les raisonnements bizarres et fantaisistes. En somme la critique interne ne peut trancher la question, ni surtout prévaloir contre les arguments indiqués. Nous concluons donc que le texte de Martini a été altéré par un copiste, peut-être par un copiste devenu chrétien, dans le sens de saint Paul.

Dès lors, pour qui apprécie les aveux de Tryphon dans son dialogue avec saint Justin comme de simples concessions obtenues sur l’heure par l’argumentation de l’adversaire, il ne reste aucun indice assuré, pour les deux premiers siècles, des souffrances du Messie.

C’est seulement au temps des amoras que nous trouvons la trace de ces souffrances, encore les indications sont-elles assez légères, et il ne faut pas conclure trop vite à des souffrances expiatoires et méritoires pour les autres. Les trois textes qu’on peut alléguer du Talmud de Babylone ne peuvent être bien compris que dans leur contexte.

Nous en connaissons déjà un. Le Messie doit être orné de six dons du

  1. Ce qui est demeuré jusqu’au troisième jour ; cf. Lev. vii, 18 et xix, 6.