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(Is. liii, 4) : et cependant il a porté nos souffrances, et il s’est chargé de nos douleurs ; et nous l’avons regardé comme un lépreux, frappé par Dieu et humilié.

R. Nakhman dit : S’il est parmi les vivants, il est donc semblable à moi, car il est dit (Jér. xxx, 21) : son prince sera un des siens, et son dominateur sortira de son sein. Rab dit : S’il est parmi les vivants, il ressemblera à notre maître, le saint ; s’il est parmi les morts, il ressemblera à Daniel, l’homme des désirs.

Le texte de Raymond Martini offre, précisément à l’endroit qui nous intéresse le plus, une variante qui nous semble préférable au texte imprimé. Il en résulte que le Messie serait nommé en termes exprès le malade ou le souffrant.

A supposer même que ce soit une addition ou une glose, il resterait qu’il est nommé le blanc ou le lépreux, avec application précise du texte d’Isaïe qui exprime bien le caractère expiatoire de ces souffrances. Mais on voit au premier coup d’œil que cette opinion est restreinte à un certain cercle. Les disciples de chaque école ont eu l’idée, pour le moins bizarre, de donner au Messie un nom qui ressemblât à celui de leur maître ; on le trouvait facilement en cherchant dans l’Écriture, pourvu qu’on se contentât à l’occasion, comme pour Ienoun, d’un jeu de mots puéril. Les disciples de Rabbi Juda le Saint, selon le texte de Martini, ont nommé le Messie « le malade »[1] ; dans l’autre texte, des maîtres inconnus l’ont nommé le lépreux de l’école de R. Juda. Dans les deux cas le sens général est le même. On a entendu comparer le Messie à Rabbi, dont la sainteté et les souffrances étaient bien connues. D’ailleurs le nom donné ici au Messie n’eut pas plus de succès que les autres et ne se répandit pas. On peut donc seulement conclure que dans certains milieux, et peut-être seulement dans l’école de Rabbi Juda, on appliquait le texte d’Isaïe au Messie, afin de trouver un lien entre le Messie et le maître. Il n’y a pas là de tradition ferme sur les douleurs du Messie.

Et surtout on pouvait se demander quand il fallait placer ces douleurs. Si le Messie avait souffert, était-ce comme Messie et parce que l’expiation faisait partie de sa mission, ou était-ce une épreuve préparatoire à sa mission elle-même ?

Le troisième texte talmudique allégué dans cette question donne une réponse très claire : le Messie souffre avant d’être appelé comme Messie.

On racontait que Josué ben Lévi avait rencontré le prophète Élie, d’après les uns devant la porte du Paradis, d’après les autres devant la grotte de Simon ben Iokhaï[2], obligé de se cacher pendant la persécution d’Hadrien.

  1. D’après le même texte, des maîtres l’ont nommé « le blanc ».
  2. C’est le texte courant du Talmud ; la porte du Paradis est indiquée par Diqd. Sofe-