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pensée de Dieu, il peut les montrer à ses fidèles. Quand ils les auront vus, leur foi sera plus ferme, ou plutôt ne sera plus une foi, mais une claire vue. Il n’est pas besoin de supposer ici une influence des Idées de Platon. Les Idées ont une existence idéale plus stable et plus réelle en elle-même que leur existence phénoménale, mais cette existence garde dans Platon quelque chose d’abstrait ; ce sont bien des Idées. Au contraire les objets préexistants des Apocalypses, du moins avant que ce concept ait été généralisé et peut-être spiritualisé, la Jérusalem nouvelle et le Messie, sont entrevus sous des contours très concrets. Ils sont encore noyés dans un vague que l’auteur ne peut éclaircir, mais son intention est de les présenter comme tout le reste, comme des images vues. Lorsque le passé n’est plus qu’un tableau symbolique, l’avenir peut bien être représenté comme présent. Ni le passé n’est tout à fait l’histoire, ni l’avenir n’est tout à fait inexistant. Tandis que dans l’évolution naturelle, toutes choses vont du germe au plein épanouissement, puis à la mort, ici tout vit en même temps, le passé est encore à venir, et l’avenir existe déjà.

Il est cependant un trait de l’apocalypse qu’on pourrait être tenté d’expliquer par une influence étrangère. Les stoïciens avaient imaginé de longues périodes après lesquelles le monde, développé à l’extérieur, puis replié sur lui-même et consumé par le feu, recommencerait selon les mêmes voies le cours de ses destinées. Est-ce de là que vient un des principes premiers de l’apocalypse : la fin comme le commencement[1] ? On admettait en effet une sorte de symétrie entre la création du monde et son renouvellement. La grande crise messianique devait être une naissance nouvelle ou palingénésie ; tout devait se reproduire dans le même ordre ou dans un ordre inverse, mais avec une exacte correspondance. Est-ce le thème stoïcien transposé ? Cela est peu vraisemblable. L’inspiration des apocalypses a une autre source. La nature ne les intéresse que comme une dépendance de l’ordre moral. Si les animaux doivent cesser de nuire, si la paix doit régner dans la nature, au temps du Messie comme au temps d’Adam, c’est parce que l’innocence des temps messianiques l’emportera sur l’innocence primitive. Et ce tableau avait été déjà tracé par l’ancienne prophétie[2]. L’apocalyptique ajoutera des traits nouveaux, ramenés au thème moral et religieux, avec son affectation spéciale de mettre en relief le grand acteur. Dès lors le dé-

  1. Épître de Barnabé, vi, 13 : Λέγει δὲ κύριος· Ἰδοὺ ποιῶ τὰ ἔσχατα ὡς τὰ πρῶτα. On ignore à quoi se réfère l’auteur. Ce qui ressemble le plus à ce dicton est le mot cité par Hésychius : τοῦτο πύθιον· τοῦτο πρῶτον καὶ ἔσχατον.
  2. Is. xi, 6-10.