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LE POISSON D’OR

comme tout le monde, c’est d’épouser une fillette dont je serais le père grandement… voilà ! faut-il me pendre ? Je n’y vais pas par quatre chemins, moi, et je dis les choses comme elles sont : je n’ai ni vices, ni défauts, ni habitudes ; je voudrais une femme pour lui donner mes cent cinquante mille livres de rentes, comme à un petit enfant chéri… oui… oui…

Sa voix se prit à trembler et son œil devint larmoyant.

Il disait vrai : il n’avait ni vices, ni défauts, ni habitudes, tout ce qui sert à dépenser l’argent lui manquait. Il ne connaissait aucun goût, aucune manie ; son avarice était d’une stérilité absolue. Il aimait l’argent pour l’argent. Avec son argent conquis, il faisait trop bon ménage ; il s’ennuyait ; son avarice n’était pas assez robuste pour lui donner le bonheur complet.

Ou plutôt, le véritable avare a besoin d’une passion coûteuse à combattre ; il faut cela pour la lutte nécessaire à toute existence. M. Bruant n’avait pas de passion. Quand il avait remué ses écus, tout était dit ; il ne leur voyait point cette paire d’ailes qui rend les écus bien plus chers. C’étaient toujours les mêmes écus. Jolis écus, mais qu’on ne craignait point de perdre.

M. Bruant n’avait, pour se divertir un peu, que ses vilenies. Il en faisait tant qu’il pouvait.

J’ai dit que l’intérêt avait été le premier mobile du désir de se marier, chez ce bizarre personnage, l’intérêt ou la peur de perdre, ce qui est tout un. C’est mon appréciation ; mais quel que fût le point de départ, le désir était solidement enraciné désormais, enraciné si bien, que la peur ne pouvait plus lui imposer silence.

— Monsieur Corbière, reprit-il, je vous mets cent louis dans la main… cent louis… si vous voulez faire