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LE POISSON D’OR

— Voilà M. Keroulaz, de Port-Louis, me dit mon bedeau d’un air triomphant ça avait des mille et des cents avant la révolution, mais dame ! vas-y voir !

Hélas ! de mon bureau où j’étais, je le voyais assez. M. Keroulaz, de Port-Louis, me fit un grave salut, et Fayet, notre bedeau, reprit :

– Vous savez bien le proverbe « Avocats, lèche-plats », pas vrai ? « Procureurs, voleurs », allez donc ! Ceux de Lorient ne veulent pas plaider pour lui rapport au Judas riche comme un puits et qui a le bras long. Larrons en foires, dites donc ! Si vous priez Mandrin d’arrêter Cartouche, il vous répond Serviteur !… Voilà, J’ai donc dit : Il y a le petit Corbière qui mange son pain sec, quand sa maman oublie de cuire le pot-au-feu, c’est votre affaire. Il irait plaider à Rome et donnerait encore un écu pour la peine. Hé hé hé hé ! dites donc ! Le mot pour rire ! Ah dame ! je l’ai, que voulez-vous !

Ici, Fayet me pointa son doigt dans la poitrine. Avant d’être d’église, il avait balayé les salles d’armes.

J’examinais M. Keroulaz, qui restait debout et découvert devant moi, Sa figure m’intéressait, d’autant qu’il ne prêtait aucune attention au bavardage impertinent du bedeau. J’étais, ce matin, d’humeur ombrageuse ; si M. Keroulaz eût seulement souri, je l’envoyais chercher fortune ailleurs. Mais le pauvre homme n’avait garde de sourire ; il souffrait, cela se voyait, et rien qu’à le regarder le cœur se serrait. L’idée me vint qu’il avait faim, Aussi, dès que Fayet, remercié, fut retourné à ses affaires, je fis asseoir M. Keroulaz et lui proposai à rafraîchir. Il me refusa en rougissant. Je ne suis ni trop délicat, m trop timide ; pourtant, je n’osai pas insister.