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Page:Le poisson d'or.djvu/34

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LE POISSON D’OR
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la marmitée, comme quoi on a eu, ce soir, les yeux plus grand que le ventre… et file !

— Par alors, me glissa Monette à l’oreille vous êtes un chanceux : vous aurez de quoi qui vaut mieux que de la viande froide !

On ne mangeait pas souvent des ortolans, chez maman Corbière ; mais le peu qui paraissait sur notre modeste table, à Rennes, brillait du moins par une exquise propreté. L’idée de partager la gamelle de ces braves me causa une certaine frayeur, et, quand Monette eut mis sur mes genoux une épaisse assiette de terre brune remplie d’une sorte de brouet sans forme ni couleur, j’éprouvai un instant d’hésitation. Mais l’odorat rectifia le jugement de la vue, tandis que l’appétit combattait avec avantage mes répugnances d’enfant gâté. Cela sentait merveilleusement bon. Je trempai une croûte de pain dans mon brouet et j’en mis la grosseur d’un pois sur le bout de ma langue. Il ne fallut qu’une épreuve. L’instant d’après, je dévorais à belles dents.

Une cotriade, mijotée selon l’art, est un des mets les plus délicieux qui se puissent goûter.

Monette me dit la composition de celle que je savourais avec tant de plaisir ; deux congres noirs, deux raies bouclées, quatre mulets, une dorade, six maquereaux et un demi-cent de pelons (petites dorades de la deuxième année), avec poivre, sel, oignons, piments et filet de vinaigre en tout, une soixantaine de livres de poissons. À Paris, ce serait beaucoup plus cher qu’un plat de gibier aux truffes.

Monette me quitta parce qu’on demandait :

— De la chandelle ! de la chandelle !

Ce soir mes voisins du trou ne se refusaient rien.