Page:Le poisson d'or.djvu/42

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
39
LE POISSON D’OR

brume si épaisse, qu’on l’aurait prise à poignée comme du blé noir. Au bout d’une demi-douzaine de minutes, juste le temps de parer la ligne et de la couler, un cri s’éleva au-dedans du brouillard, puis une lueur brilla comme qui dirait au travers d’une serpillière. C’était fait. L’instant d’après, on vit l’embarcation de M. Guillaume sortir de la brume et filer comme un goéland sous sa brigantine, sa flèche et ses deux focs ; car c’était un cotre qu’il avait. Le brouillard resta jusqu’au matin à la même place, haut et rond comme une tour. Avec sa pêche de cette nuit-là, M. Guillaume racheta ses moulins, ses fermes, ses futaies ; mais trois ans après, jour pour jour, heure pour heure, il fut tué à Rennes, en duel, sous un réverbère, par un diable déguisé en officier du roi.

Vincent leva la tête et demanda :

— Patron Seveno, quelqu’un de Groix ou d’ailleurs a-t-il vu le poisson d’or pêché par mon aïeul, M. Guillaume ?

— Bourrez ma pipe et taisez ton bec !… Comme quoi le Bruant n’était pas du pays, c’est vrai, puisqu’on n’a jamais su d’où il sort, mais ayant servi au château, il savait cette histoire-là et bien d’autres avec. Et vous allez comprendre : son idée de tenter le poisson d’or n’était pas si bête, à cause que, dans la république il n’y avait plus de privilèges. On avait fait rasibus de tout, excepté des commissaires.

Voilà donc qui est bon. Le vent soufflait d’aval à décorner les vaches. C’était marée. On entendait la barre d’Etel qui hurlait comme cent loups. Ce n’est pas que j’aimais beaucoup le Bruant : mais, étant son matelot et le voyant décidé à tenter la chose, je lui dis :