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Page:Le proces Zola devant la cour d assises de la Seine et la cour de cassation, Paris Bureaux du Siècle etc , 1898, Tome 1.djvu/285

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RAPPEL DE M. LE COMMANDANT LAUTH

M. le Président. — Je vais vous poser une question très grave Est-ce que, à un moment donné, le colonel Picquart vous a proposé de faire disparaître les traces des déchirures du petit bleu et de faire apposer sur l’adresse le timbre de la poste ?

M. le commandant Lauth. — Lorsque cette carte-télégramme, qu'on est convenu d’appeler le petit bleu, a été entre mes mains et que je l’eus remise au colonel Picquart, celui-ci la gardée pendant dix ou douze jours, je ne sais pas au juste, mais cela ne va pas, je crois, à quinze jours. Il me la rendit un jour en me demandant d’en faire une photographie. Je fis une première photographie sans prendre aucune précaution ; par conséquent, les traces de déchirures se reproduisirent sur le cliché et ensuite sur les tirages sur papier que je lui fis. Il me fit recommencer un certain nombre de fois et, au bout de quelque temps, il me dit : « Cette photographie ne me satisfait pas ; ne pourriez-vous pas faire des clichés et des tirages sur papier, en taisant disparaître absolument les traces de déchirures, de manière à donner à cette photographie l’apparence d’un petit bleu absolument net.

Je recommençai mes expériences. Toutes ces expériences de photographie durèrent bien un mois, si ce n’est plus Au bout de quelque temps, je présentai au colonel Picquart des tirages sur papier. Le résultat n’avait pas été tout à fait satisfaisant encore, et, un jour que je lui montrais ces résultats, impatiente du peu de succès auquel j’arrivais, c’est-à-dire de ce que je n’arrivais pas à faire disparaître ces traces de déchirures ?» je lui dis : « Mais enfin, mon colonel, pourquoi voulez-vous faire disparaître ces traces de déchirures ? » Il me répondit : « C'est pour faire croire là-haut que je l’ai interceptée à la poste. » Là-haut désignait ses chefs, c’est-à-dire le sous-chef d'Etat-major et le chef d’Etat-major. — Je ne répondis pas, et, un moment après, le colonel me dit : « Je voudrais qu’on crût que cette lettre a été interceptée à la poste. » Je lui répliquai : « Comment pourrait-on croire cela ? D’abord le petit bleu ne porte pas de cachet. Cela lui ôterait toute valeur et ferait disparaître les signes qui lui donnent une certaine authenticité. »

Je faisais allusion à certains signes qui se trouvaient sur le petit bleu. En faisant disparaître les traces de déchirures, on arrivait à faire disparaître ces signes. Le colonel Picquart reprit : «Peut-être qu’à la poste on pourrait y apposer un cachet ? » Il ne me l'a pas proposé, cette phrase a été dite incidemment : « Peut-être qu’à la poste on y mettrait un cachet ? » Je lui répondis : « Je n’en suis pas sûr ; pour ces questions-là, je crois qu’il ne faut pas le leur demander, ils ne sont pas toujours très complaisants. » Ensuite, à un moment donne, je dis au colonel : « Mais enfin, mon colonel, si vous faites disparaître les traces de déchirures et que vous présentiez un petit bleu qui