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Page:Le proces Zola devant la cour d assises de la Seine et la cour de cassation, Paris Bureaux du Siècle etc , 1898, Tome 1.djvu/382

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c’est que le gouvernement ne désirait pas à ce moment faire la lumière sur l’affaire Dreyfus.

Il y a M. le Ministre de la justice, me dira-t-on, c'est à lui seul que vous deviez vous adresser. C’est entendu, mais enfin, n’est-ce pas ? il est bien certain que M. le Ministre de la justice n’aurait pas pris de résolution tout seul sans le concours de ses collègues du Cabinet; c’était donc en définitive au gouvernement que je devais m’adresser. Et j’avais besoin du gouvernement, vous entendez bien, pour arriver à faire admettre ma requête tendant à établir qu’il y avait eu violation de la loi

J’avais besoin, permettez-moi de l’ajouter aussi, du gouvernement, même dans le cas où ma requête aurait été accueillie et où il y aurait eu annulation du jugement par la Cour de cassation; j’avais besoin d’un gouvernement désireux de faire la lumière complète sur l’affaire Dreyfus, parce que, qu’il me soit permis de le dire, si cette révision devait se faire, ou plutôt si le jugement devait avoir lieu à nouveau, il fallait le grand jour, il ne fallait plus le huis clos.

Vous entendez bien que quand sept officiers, qui sont la loyauté même, ont condamné un homme — pour moi, je crois qu’ils se sont trompés, mais enfin, — pour le faire admettre par l’opinion publique, il faut qu’elle puisse toucher l’erreur du doigt.

Par conséquent, il m’était nécessaire d’être certain que, si ce jugement devait de nouveau avoir lieu, j’aurais le plus grand jour, et pour cela il fallait le concours du gouvernement voulant la lumière complète. Eh bien! j’étais convaincu qu’on ne la voulait pas et, dans cet état d’esprit, je me demandais ce que j’allais faire?

Je me le demandais lorsque — c’est par cela que je vais terminer — se sont déchaînées les passions qui grondent encore aujourd’hui,— au-dessus desquelles certainement vous êtes, — qui font qu’on ne pense plus à mon malheureux client.

Maintenant, il ne s’agit plus de l’affaire Dreyfus; c'est l'honneur de l’armée qu’on a mis en cause, c’est la lutte entre sémites et antisémites. Quant à moi, je ne me suis jamais préoccupe que des intérêts de M. Dreyfus, que j’ai défendu; il n y a que lui qui me préoccupe.

Par conséquent, je me suis dit: il faut attendre encore, il faut de l’apaisement. Voilà pourquoi j’ai dit a M. Mathieu Dreyfus et à Mme Dreyfus: Attendons, attendons un autre moment, attendons des temps plus calmes!

Et je suis heureux d’avoir une occasion de l'affirmer ici, car il y a dans votre exposé, monsieur l’Avocat général, permettez-moi de vous le dire, un passage qui ma beaucoup touché; vous avez dit à MM. les jurés qu’on n’avait pas voulu employer les voies légales et qu’on avait eu recours aux voies révolutionnaires. Mais, ce reproche-là, vous ne pouvez l’adresser à M. Zola parce que lui n’avait aucune qualité pour recourir aux voies légales, n'est-ce