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Page:Le proces Zola devant la cour d assises de la Seine et la cour de cassation, Paris Bureaux du Siècle etc , 1898, Tome 1.djvu/540

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avaient couru sus à l’Anglais, et, plus récemment encore, des deuils cruels a mon cœur sont venus me frapper : un des miens Jean Bérar, qui, pendant son cours de Saint-Cvr, était l’enfant chéri de ma maison, a succombé glorieusement devant l’ennemi ! Je vois encore sa jeune figure imberbe, toute vaillante : Lieutenant de dragons, il demanda à partir pour le Soudan ; il était d'une lignée guerrière, car son grand-père était le héros de Berg-op-Zom, et son père, capitaine de frégate, avait été général auxiliaire pendant la guerre de 1870. C’était un vrai officier, loyal comme une épée, brave comme un sabre. A peine etait-il a Kayes, qu’avec son capitaine et huit spahis, il repousse quatre-vingt Maures arabes. Puis, bientôt, il est à Tombouctou ; là, dans un engagement avec les Touaregs, chargeant en tête, il est entouré par l’ennemi ; une lance lui traverse le flanc : il tombe sur le sol, au moment où ses cavaliers vont le dégager, et ce jeune héros meurt le sourire aux lèvres, comme l’a rapporté son capitaine qui a reçu son dernier soupir. Il meurt le sourire aux lèvres, comme s’il voyait l’image de la Patrie flotter devant lui, cette Patrie à laquelle il donnait sa jeune existence

Voilà la famille de mauvais patriotes à laquelle j’appartiens ! Voilà l'homme hostile à l’armée que je suis !

Messieurs, je voudrais m’arrêter ici ; mais, parce que je suis témoin, il ne faut pas qu’il reste de doutes sur ma moralité : il ne faut pas qu’on dise que je suis un mauvais citoyen et, si je repousse cette injure, ce n’est pas parce qu’elle était dans la Libre Parole, c’est parce qu’elle est dans un document officiel, c'est parce que je veux qu’il n’en reste rien, rien ! Et ici. je suis oblige de parler de moi…, et j’en demande pardon à Messieurs les jurés.

Il y a quarante-quatre ans, en 1853, j’étais officier de santé, sous-aide de la marine, au port de Toulon ; je portais l’épée au côté, j’avais le grade et les avantages d’un officier. Je servis dans les hôpitaux maritimes de Toulon pendant cette guerre de Crimée ; car les hôpitaux et les épidémies sont pour nous, médecins et pharmaciens, des champs de bataille.

Messieurs, quand on veut juger la conduite des hommes, des hommes âgés, il faut leur demander ce qu’ils ont fait en 1870... Je regrette de faire mon apologie, mais j’y suis forcé. En 1870, professeur agrégé à la faculté de médecine, j’étais, au moment des désastres, au mois d’août, bien loin du danger, sur les côtes de l’Ouest, en Vendée. Quand je vis ces désastres, quand je vis que l’ennemi s’avançait sur Paris, j’ai pensé que mon devoir était là où était le danger.

Je dis aux miens, je pars. C’est alors qu’une amie chère, qui est le soutien de ma conscience depuis quarante années, me dit : « Pars », et je partis. J'arrivai à Paris. Avec mon titre de docteur, je pouvais me placer dans un hôpital militaire avec de bons appointements ; je préférais prendre le fusil de garde national ; je montai la garde sur les remparts, et, pendant les loisirs que me laissait ma garde, je m’occupai de la défense,