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Page:Le proces Zola devant la cour d assises de la Seine et la cour de cassation, Paris Bureaux du Siècle etc , 1898, Tome 1.djvu/546

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Eh bien ! les habitudes orthographiques sont absolument les mêmes dans le bordereau et dans les lettres du commandant Esterhazy. Le bordereau diffère totalement, à cet égard, des lettres du capitaine Dreyfus.

Il y a la même régularité pour l’emploi ou la suppression de l'accent ou de la cédille ; il y a un point très caractéristique, très personnel, qui ne s’applique qu’à un bien petit nombre de personnes : l’A majuscule de la préposition à, muni d’un accent grave, se trouve dans le bordereau et, à ma connaissance, dans deux lettres au moins du commandant Esterhazy, parmi celles qui m’ont été accessibles. Je crois qu’on pourrait chercher parmi bien des milliers de personnes avant d’en trouver une qui mette des accents graves dans ce cas.

Rien que ces exemples-là ne suffiraient pas pour affirmer, avec la même certitude qu’à propos de l’écriture, que le bordereau est du commandant Esterhazy et non pas du capitaine Dreyfus, mais pour dire qu’il est presque impossible qu’il ne soit pas du commandant Esterhazy, parce qu’on aurait de la peine à trouver un autre officier ayant cet ensemble d’habitudes orthographiques et en particulier ce trait de l’A accent grave majuscule.

Un détail encore doit être mentionné dans cet ordre d’idées, c’est l’emploi du trait d’union après le mot très, comme dans très grand, très peu. Il y a, à cet égard, deux habitudes orthographiques en France, qui tiennent à un changement d’orthographe officielle apporté par l’Académie en 1878.

Autrefois, on mettait un trait d’union après très ; les personnes un peu plus jeunes ne mettent pas ce trait d’union, que l’Académie a supprimé. Le trait d’union est commun à beaucoup de personnes certainement, surtout parmi celles qui ont dépassé quarante ans ; mais, enfin, c’est encore un trait caractéristique dans les lettres de Dreyfus, où il n’y a pas de trait d’union après le mot très.

Chez M. Esterhazy, j’en connais deux exemples qui sont tous les deux réunis sur le placard intitulé la Clé. Dans le bordereau, il y a cette phrase : « Je n'aurai ce document que pour très-peu de jours » ; entre très et peu, il y a un trait d’union. Voilà encore un détail orthographique, moins précis, mais qui signalerait M. Esterhazy parmi beaucoup d’autres !

J’arrive maintenant à la question de la langue. Par langue, j’entends le choix des mots. Il y a bien des façons de parler français : on peut parler français avec correction ou en commettant des fautes. Je me suis placé au point de vue où se placerait un professeur qui aurait à donner des notes à un élève dans une classe, et à noter s’il a écrit bien ou s’il a écrit mal, au point de vue du choix des mots ou de la tournure correcte ou incorrecte.

Eh bien ! dans le bordereau, il y a des tournures incorrectes et des tournures impropres qui semblent indiquer quelqu’un qui ne connaît pas bien la langue ou qui penserait en une lan-