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LE VOL SANS BATTEMENT

Ce qui me faisait ainsi braver le coup de midi c’était une chose bien prosaïque, c’était le dîner qui m’attendait. J’avoue l’avoir laissé refroidir quelquefois ; c’était quand je rencontrais un vol de ces majestueux oiseaux posés au loin sur le sol du désert, ayant au milieu d’eux un squelette parfaitement nettoyé et tous des jabots monstres que les plumes du poitrail ne pouvaient plus recouvrir.

Quand je les rencontrais dans cet état de béatitude que leur procure la digestion, je ne pouvais me retenir d’aller les déranger. Alors je lançais ma monture dans le tas sans hésitation et à grands coups de fouets je les faisais repartir. Ces oiseaux, dans le cas présent, sont si lourds que plusieurs d’entre-eux ont été frappés par mon fouet.

Il est très facile de les tuer dans cette occasion. Ces oiseaux sont énormes, gros comme des moutons ; si on a le soin de tirer à la tête avec du petit plomb, ils tombent étourdis et on peut les prendre vivants, car ils reviennent ordinairement de ce coup de fusil… surtout si on a tiré avec de la cendrée. Les chasser avec des chevrotines est plus aléatoire. On les tue quelquefois, mais souvent aussi, blessés à mort, ils ont encore assez de force pour aller mourir dans la montagne, trop loin pour pouvoir songer à les rechercher. − Le fait est qu’après en avoir tué ma part je finissais par ne plus leur administrer que des coups de fouet ; et c’était suffisant pour les décider à faire le pénible effort du départ.

Il faut avoir été dans ces agglomérations d’oiseaux, à quelques pas d’eux, pour se faire une idée précise de la difficulté de cet acte. Combien de vols manqués ; l’oiseau se reposant à cent mètres, n’ayant pu arriver à la vitesse nécessaire pour pouvoir s’enlever, vomissant sa charge de nourriture pour pouvoir s’alléger et atten-