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L’ŒUVRE IGNORÉE DE L.-P. MOUILLARD

je nomme « l’appareil des impotents », et c’est à mon adresse ce qualificatif. C’est dire que je tâche de tourner la difficulté qu’offre l’aé. personnel, et espère encore me faire véhiculer dans les airs.

Comme vous voyez, cher Monsieur, malgré mon découragement, malgré cette tristesse résignée qui est bien la note de mon individu, je ne lâche pas pour cela la question. C’est à froid que je la serre, et cela sans aucun mérite, car comment oublier un pareil problème, au Caire surtout où on a constamment les voiliers sous les yeux ?

Ce qui me manque pour réussir, c’est un peu de bien-être, un peu de liberté d’action. (Je suis trop cerné par les besoins de la vie pour pouvoir agir avec succès, trop peu fortuné pour produire une idée avec chance de réussite. Je trouve, puis je laisse moisir dans mes cartons des idées qui, en des mains plus actives que les miennes, seraient vite exécutées et rendues productives. À commencer par l’aviation que je donne à tous).

J ’ai été tellement désillusionné dans ma vie que non seulement je ne crois à rien, mais je ne cours après rien. Je pense beaucoup et agis peu, c’est mon défaut. J’aurais dû naître double, un pour penser, l’autre pour agir et tirer parti du penseur.

J’ai bien cru, en 1881, avoir la liberté. Pendant que je publiais mon livre à Paris, je poursuivais un autre problème tout aussi important que celui de l’aviation : c’était le changement de fond en comble de ce qui existe en Marine. Je fus reçu plusieurs fois par Gambetta d’une façon plus qu’encourageante. Ce grand homme avait pris mes idées en mains. Malheureusement tout sombra avec cette brillante personnalité. Aujourd’hui je suis en relation avec l’amiral Aube, ancien Ministre de la Marine, l’homme qui dit qu’il ne faut plus construire de cathédrales flottantes et qu’il faut s’adresser aux idées nouvelles. Qui sait s’il reviendra au pouvoir ? Cet échec m’a fait rentrer dans mon trou du Caire d’où je ne suis plus ressorti. Et cependant cette idée est aussi neuve, aussi fraîche qu’il y a vingt ans quand je l’ai trouvée.