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BŒUFS ROUX

— Eh ben ! Phydime, va te falloir un engagé ou ben un gendre ?

Et à chaque fois, le vieux avait cligné de l’œil vers Dosithée.

Avec ça, voilà que Zéphirin venait souvent à la maison, lui qu’on n’avait vu auparavant qu’une fois ou deux par année.

Décidément, il y avait anguille sous roche !

Dosithée souriait doucement.

— Zéphirin ou un autre, se disait-elle, puisqu’il faut un gendre à papa ! Et puis, je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’aimer à la folie pour se marier, établir un foyer et fonder une famille !…

Peu à peu elle se faisait à l’idée de devenir la femme de Zéphirin Francœur, elle en venait même à désirer ce mariage, attendu qu’elle était sûre de rester à la maison paternelle, puisque Zéphirin n’avait pas de terre. Cette union pouvait lui plaire par un autre côté : elle aimait, elle adorait la terre, et elle savait que Zéphirin aimait également le sol et sa culture. Là, le même goût et le même amour les uniraient certainement. En outre, Zéphirin avait bien des qualités que Dosithée considérait comme précieuses : c’était un garçon vaillant qui ne rechignait jamais à la besogne, il était doué d’un bon caractère, et, qualité non moins précieuse, il était casanier et aimait la maison. Non, il n’était pas de ces garçons qui, lorsqu’ils n’ont rien à faire, passent leur temps à courir la paroisse d’un bout à l’autre, histoire d’aller voir les filles pour les embêter. Non, Dosithée n’aimait pas les jeunes gens de cette catégorie. Bref, sous plusieurs rapports, Dosithée et Zéphirin possédaient les mêmes goûts et semblaient avoir tous deux les mêmes inclinations. Et, issus tous deux du même sol, élevés presque côte à côte, rien ne pouvait les empêcher de s’unir et de vivre heureux.

Durant tout ce dimanche après-midi Zéphirin ne dit peut-être pas dix mots en tout à Dosithée, mais il ne la quitta pas de ses grands yeux admiratifs.

Il s’en alla un peu avant le souper. On voulut bien le garder pour le repas du soir, mais il prétexta qu’il avait « son train » à faire.

Phydime, sa femme et Dosithée accompagnèrent le jeune homme jusqu’à la route.

Puis Phydime revint à la maison pour allumer le poêle.

Dosithée gagna le jardin potager à l’arrière de la maison.

Quant à Dame Ouellet, en attendant que le poêle fût chaud, elle monta sur la galerie et s’assit dans une berceuse. C’était une belle journée, ensoleillée, chaude et parfumée. Les champs verdoyaient sous les jeunes tiges des grains. Les prairies fleurissaient avec une merveilleuse rapidité. Les ramures chantaient, tout vivait dans la paix et la joie.

Dame Ouellet allait se livrer à la contemplation des riches paysages qui s’étalaient sous ses yeux, paysages pourtant bien connus et cent mille fois admirés, lorsque son attention fut attirée par un attelage qui venait grand train dans la route montant de Saint-Germain. Cet attelage soulevait un nuage de poussière dorée, et elle se demandait avec curiosité qui pouvait bien venir à cette vitesse. C’était peut-être de la visite, pensa-t-elle, pour les Francœur ou les Michaud. De ses yeux un peu myopes elle se mit à suivre l’attelage. Parfois des buissons ou des bouquets d’arbres le dérobaient à sa vue, puis l’attelage reparaissait approchant toujours rapidement de la route qui traversait le Petit Village. La route de Saint-Germain aboutissait à celle du Petit Village, et juste en face de cette route s’élevait la maison du père Francœur.

Dame Ouellet se dit que si l’attelage n’arrêtait pas chez les Francœur, et s’il ne tournait pas vers l’Est et la ferme des Michaud, il se pourrait que ce fût de la visite pour elle et son mari. Mais l’attelage inconnu ne tourna pas à l’Est, ni ne s’arrêta chez les Francœur : il prit la direction de la ferme de Phydime.

— Si c’est de la visite pour nous autres, se dit Dame Ouellet, je me demande qui ça peut bien être.

Et, de fait, comme si elle eût pressenti que ce visiteur était pour eux, elle alla prévenir son mari dans la cuisine.

— Laisse donc faire, grommela Phydime qui, après avoir allumé le poêle, allumait sa pipe ; si c’est de la visite pour nous autres, on verra ben.

Curieuse, Dame Ouellet retourna en la salle voisine pour surveiller l’arrivant. À ce moment précis un superbe attelage s’arrêtait devant le parterre de la maison. Dame Ouellet jeta par une fenêtre un regard perçant : elle vit deux jeunes chevaux gris