Page:Lebel - Bœufs roux, 1929.djvu/65

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
63
BŒUFS ROUX

Phydime, voyant sa fille s’anémier de jour en jour ne voulut pas compter sur elle pour l’aider à la moisson. Il fit écrire Dame Ouellet à Horace de venir travailler à la récolte. Horace ne répondit pas. Zéphirin offrit ses services, déclarant que son père pouvait se passer de lui. Durant un mois entier il travailla avec Phydime. Il se trouva donc en commerce intime avec Dosithée, et tous les soirs, après la journée faite, tous les deux avaient de longues conversations. Et tacitement la jeune fille consentait à devenir la femme de Zéphirin.

Tout joyeux, il lui demandait :

— Comme ça, on va pouvoir se marier à l’automne ?

Elle souriait seulement.

Zéphirin prenait ce sourire pour une réponse affirmative.

Vint le mois d’octobre et les premiers gels.

Lorsque Zéphirin eut terminé son travail chez Phydime, il avait demandé à Dosithée, avant de retourner chez son père :

— Ainsi, ce sera pour avant le temps des Avents ?

Elle avait encore souri pour toute réponse…


XIII


Chaque dimanche, après ou avant la messe, la jeune fille avait revu Léandre Langelier qui l’avait saluée du meilleur sourire et de la plus belle révérence.

Un dimanche, il l’avait abordée et lui avait dit avec un sourire triste :

— Ah ! mademoiselle voici que vient le temps où les fleurs vont se faner… puis ce sera l’hiver endeuillé !

Oh ! comme elle avait compris l’allusion : oui, elle était une fleur qui se fanait même avant l’hiver, et le deuil serait pour lui comme pour elle. Pour lui, la fleur qu’il avait rêvé de cueillir ne serait plus ; pour elle, le soleil qu’elle avait espéré se serait éteint !

Et quand vint octobre, pluvieux et sombre, la fleur si éblouissante qu’on avait connue demeurait à peine l’ombre d’elle-même. Chacun le remarquait. On se demandait :

— Est-ce que c’est son mariage prochain avec Zéphirin Francœur qui lui fait ce mal-là ?

Oui, on paraissait le deviner : c’était bien ce mal-là !

Plus approchait le jour où ce mariage se ferait, plus Dosithée s’en allait vers le néant. Et, pourtant, rien encore n’avait été entendu définitivement entre les intéressés. Ce fut le père Francœur qui vint pour décider de l’affaire sans plus.

Ce jour-là, il trouva Phydime fumant sa pipe au coin du poêle, toujours silencieux et méditatif. Dans un angle éloigné, Dame Ouellet filait.

Dosithée était là-haut tissant une pièce d’étoffe, et l’on entendait distinctement le bruit des pédales et du ros.

Comme il arrivait toujours à ces visites accoutumées, on se souhaitait le bonjour, puis le silence s’établissait. Le père Francœur bourrait sa pipe, l’allumait, fumait un moment puis attaquait la conversation.

Ce jour-là, après avoir tiré quelques rudes bouffées de sa pipe, il y alla à brûle pourpoint d’une question qui parut surprendre Phydime.

— Eh ben ! Phydime, êtes-vous décidé à marier votre fille à mon garçon Zéphirin ?

Phydime se sentit pris au dépourvu.

Il plongea ses regards gris acier dans les yeux timides du père Francœur, puis il toussa, cracha, fuma et répondit :

— Père Francœur, c’est pas à moi à décider, c’est à Dosithée. Si elle veut, c’est ben ; si elle veut pas, c’est son affaire. Moi, je veux pas me mêler de rien. Mais si elle veut, ton gars deviendra mon gars, et quand je mourrai mon bien sera son bien. Est-ce qu’on peut parler mieux que ça ?

— Ah ! oui, c’est ben parlé. Seulement, Zéphirin voudrait décider ça tout de suite, afin de fixer la date. Il voudrait ben se marier avant les Avents.

— Eh ben ! j’en parlerai à Dosithée, et je vous dirai ce qui en est. À propos, père Francœur, comment est-ce que je dois à votre garçon pour le temps qu’il m’a aidé ?

— Ah ! parlez donc pas de ça, Phydime, c’est rien. Il a été ben content de vous rendre ce service-là. D’ailleurs il se considère déjà pas mal comme votre gendre, et il l’a fait pas mal aussi pour Dosithée. Voyez-vous, il s’est dit : si je vais pas aider à Phydime, ce sera Dosithée qui sera obligée de lui aider, et comme je sais qu’elle est pas ben ben, je vais prendre sa place. Je vous l’ai déjà dit, Phydime, Zéphirin n’est pas