Aller au contenu

Page:Lebel - La petite canadienne, 1931.djvu/18

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
16
LA PETITE CANADIENNE

Chasse-Torpille Lebon n’a été qu’une machination de Conrad qui, par haine contre son associé, a voulu se réserver à lui seul tous les bénéfices de l’affaire, en trafiquant ces plans avec des espions ou agents allemands dont vous êtes le banquier. Mais je dois vous confesser qu’il y a là toute une histoire à laquelle je ne comprends pas grand’chose, me bornant, à remplir à la lettre les instructions qu’on me donne.

Benjamin se mit à rire.

Le policier parut s’étonner de cette subite gaieté.

Mais de suite le pseudo-banquier était fortement secoué par une toux violente qu’il eut peine à calmer. Et ce fut après quelques minutes seulement qu’il put dire :

— Mon ami, je vais vous apprendre une chose : votre Dunton est tout à fait dans la lune ! Monsieur Conrad est innocent de la machination et du vol que veut lui imputer Dunton. Je vous apprendrai aussi que ses relations avec moi n’ont aucun rapport avec cette affaire de Chasse-Torpille ; ou si elles ont quelque rapport, ce n’est pas de la façon dont les interprète Dunton. Je vous dirai enfin que James Conrad fait lui-même d’actives recherches pour découvrir les véritables auteurs du vol commis à son bureau à Montréal.

Alors, fit le policier tout étourdi par ces affirmations de Benjamin, Monsieur Conrad se serait mis lui aussi à la recherche de Lebon ?

Benjamin ne put réprimer un nouveau tressaillement en entendant le nom de l’inventeur canadien.

Seriez-vous chargé aussi de rechercher Lebon ? demanda-t-il avec son calme ordinaire.

— Sans doute, puisque Dunton a l’assurance que Conrad a monté toute cette affaire avec le concours de Lebon lui-même, et il appuie son assurance sur l’arrestation de Lebon et son évasion qui lui sont une preuve que quelqu’un se tenait dans la coulisse pour tirer les ficelles. Et le tireur de ficelles, selon Dunton, ne peut-être que Conrad ou quelqu’un à ses gages.

Benjamin sourit et répliqua ;

— Écoutez-moi, je vais pour votre information personnelle, mettre les faits et les personnages en cause en pleine lumière. Et ce que je vais vous confier vous enlèvera les scrupules que vous pourriez garder à me servir contre les intérêts de celui qui vous emploie à cette heure. Et observez ceci ; en acceptant de travailler pour mon compte, loin de nuire aux intérêts de Dunton, vous lui rendez par le fait même un service inestimable. Écoutez, vous allez voir.

Ici Benjamin porta son mouchoir à sa bouche, toussa un peu, essuya ses lèvres et poursuivit :

— Une chose que je sais parfaitement bien, c’est que Dunton hait James Conrad depuis de longues années. Cette haine, il la croit réciproque. Et alors, se sachant exécré par son associé, il s’imagine que celui-ci ne songe qu’à lui jouer quelque vilain tour. Mais il n’est rien de tout cela ; car je sais que Conrad est un homme de droiture et de probité. Mais Dunton, comme tous les esprits haineux, est rendu ombrageux et défiant par sa haine. Alors, qu’arrive-t-il ? Dunton guette l’occasion d’assouvir sa haine. Un incident se produit, et de cet incident tout fabriqué d’apparences, il tire des conséquences et des conclusions. Puis, entraîné par l’imagination, haïssant trop pour pouvoir raisonner sainement les faits et les circonstances, il se jette tête baissée dans une aventure qui ne peut lui rapporter que déconvenue et ridicule. Voilà l’exacte vérité, et de cette vérité vous aurez d’ici quelques jours la preuve éclatante. Or, ajouta Benjamin avec un sourire tranquille, si le rôle que joue à cette heure Dunton est ridicule, vous voyez, vous qui le servez, ce qu’est le vôtre ? Donc, en travaillant pour et avec moi, vous épargnerez à Dunton des désagréments, et vous servirez en même temps une cause de justice, car vous empêcherez à l’égard de James Conrad des ennuis qu’il ne mérite pas.

— Je vous crois, dit le policier très convaincu par le ton naturel et sincère de Benjamin. Alors, demanda-t-il, quelle serait auprès de vous la nature de mes services ?

— Ce seront les mêmes services que vous aviez à rendre à Dunton, avec cette seule différence que, au lieu de perdre votre temps à me surveiller, vous surveillerez Dunton lui-même et me rapporterez tout ce qu’il fait, dit et pense si possible. Bref, tout en me servant vous aurez l’air de le servir lui-même, et vous lui serez par le fait du meilleur secours.

— Bien, je comprends. Mais il y a l’autre agent ?

— Votre confrère ? C’est juste. Eh bien ! surveillez-le lui-aussi.

— Très bien.

— Maintenant une question : connaissez-vous le colonel Conrad ?

— Oui, nous avons l’œil sur lui également.

— Bien, tâchez de ne le pas perdre de vue ! Une autre question.

— Faites.

— Connaissez-vous, un certain Peter Parsons ?

— De nom, oui. Mais son signalement me manque.

— Voici ce signalement.

Benjamin fit un portrait très exact du personnage en question, et termina par ces mots :

— Voilà encore un individu qui pourra vous intéresser. Et maintenant, pour conclure, de l’œil, de la vigilance et de la circonspection. Et sur ce, buvons encore un verre de ce délicieux champagne…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Il était quatre heures de l’après-midi lorsque Benjamin rentra à son hôtel. Un employé de l’administration lui remit une dépêche arrivée du midi et venue de Montréal.

Benjamin brisa l’enveloppe et lut avec la plus grande stupéfaction ce qui suit :


Dépêche de Pierre reçue… Envoie modèle par express… Montjoie.


Pendant dix minutes Benjamin lut et relut l’étrange télégramme.

Tout à coup un long frisson le secoua des pieds à la tête, il pâlit et murmura :

— Je comprends… nous sommes joués encore une fois !

Alors, comme saisi d’un grand découragement,