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Page:Lebel - La petite canadienne, 1931.djvu/20

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18
LA PETITE CANADIENNE

V

L’ENVELOPPE JAUNE


Le matin de ce même jour, une scène d’un tout autre genre se passait à l’hôtel Welland.

Nous suivrons d’abord Tonnerre et Alpaca qui, on s’en souvient, après avoir reçu leurs instructions de William Benjamin, étaient partis pour se mettre en chasse du capitaine Rutten.

Chemin faisant, ils aperçurent sur le trottoir opposé et venant en sens inverse un grand diable roux, serré dans sa jaquette d’officier canadien, allant d’un pas raide, la mine hautaine, et jouant furieusement de son stick de parade.

— Tenez, Maître Tonnerre, dit Alpaca, voilà justement un de vos anciens amis !

— Tiens ! tiens ! s’écria Tonnerre, ce cher colonel… Quelle surprise !

— Très chic, ce matin, le colonel ! gouailla Alpaca.

— Je gage qu’il serait enchanté de nous serrer les quatre mains !

— Et de nous faire fusiller ensuite ! sourit narquoisement Alpaca.

— Savez-vous, cher Maître, quelle idée me frappe ?

— Quoi donc ?

— Qu’il serait peut-être intéressant de savoir ce que fait ce brave colonel en cette jolie ville de New York.

— Idée admirable ! maître Tonnerre.

— N’est-ce pas ? Eh bien ! que diriez-vous si, laissant le capitaine Rutten à ses soins chéris, moi je m’attachais un peu à la ravissante personne du colonel ?

— Je dirais que la même idée vient d’éclore en mon cerveau.

— Alors, c’est dit. Au revoir, cher Maître ! cria Tonnerre en s’élançant dans la direction du colonel.

— Bonne chance, Maître Tonnerre ! répondit Alpaca en poursuivant sa route.

Ce dernier était déjà loin, mais Tonnerre était encore bon marcheur en dépit de son âge ; aussi put-il le rattraper bientôt sans, naturellement, aller le lui dire… comme, par exemple :

— Bonjour, cher Colonel ! C’est moi votre ami, Maître Tonnerre, notaire, et à votre service…

Non, Tonnerre se contenta de le suivre à une distance respectueuse. Au bout de vingt minutes de marche, il vit le colonel pénétrer dans l’Hôtel McAlpin.

— Bon, se dit Tonnerre en s’arrêtant à quelques pas de l’hôtel, ce colonel, si plein de complaisance qu’il a été pour Maître Alpaca et moi, ne loge pas trop mal après tout ! Mais voilà, ajouta-t-il avec un accent perplexe, vais-je aller rejoindre Maître Alpaca, ou attendre ici la sortie du colonel ? D’une chose je suis sûr : c’est que Maître Alpaca peut très bien de débrouiller seul avec ce Rutten. Et moi, en me rivant aux pas du colonel, je pourrais finir par dénicher une poule aux œufs d’or. Et, par le temps qui court, la trouvaille serait des mieux appréciée par moi-même d’abord, par Maître Alpaca ensuite, et aussi par Monsieur William Benjamin. Et cette poule aux œufs d’or pourrait bien s’appeler Miss Jane !… Donc, conclut Tonnerre, je tiens le colonel et ne le lâche pas !

Cette résolution prise, il alluma un cigare et attendit.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

À son entrée à l’hôtel le colonel s’était trouvé sur le passage de James Conrad qui s’apprêtait à sortir.

— Quoi de neuf, Philip ? demanda l’ingénieur.

— Êtes-vous pressé ? interrogea le colonel sans répondre à la question de son oncle.

— Non, répondit Conrad.

— Eh bien ! montons chez moi.

— Je te suis, acquiesça l’ingénieur.

Les deux hommes s’engagèrent dans l’ascenseur et montèrent au deuxième étage où le colonel avait son appartement.

— Savez-vous ce que j’ai découvert ? commença le colonel, après que son oncle et lui-même se furent assis.

— Est-ce intéressant ?

— Vous allez en juger. Écoutez bien. Ce matin, après avoir réglé une petite affaire avec un ami au Welland, j’étais en train de boire un apéritif, lorsque je vois un individu s’approcher de moi, enlever poliment son chapeau et me demander :

— Vous êtes le colonel Conrad, de Montréal ?

— Oui, fis-je un peu surpris et en examinant cet homme qui m’était tout à fait inconnu.

— Et vous êtes, continua ce dernier, un parent de M. James Conrad ?

— Je le crois, puisque je suis son neveu.

— Ah ! très bien, répliqua l’homme avec une apparente satisfaction, je suis content de vous voir, car j’aurais une petite mission à vous confier auprès de monsieur votre oncle.

— Je me chargerai volontiers de cette mission, répondis-je très curieux.

— Voici ce que c’est, reprit l’inconnu. J’ai été informé que votre oncle s’intéresse tout particulièrement à certain Chasse-Torpille l’œuvre d’un jeune inventeur canadien, Pierre Lebon, aussi de Montréal.

— Tout cela est exact. Continuez, dis-je de plus en plus surpris.

— J’ai appris par après que les plans de cette machine acquis par votre oncle lui avaient été subséquemment volés.

— C’est la vérité.

Alors l’inconnu se rapprocha de moi et me dit à voix basse et en grand mystère :

— Monsieur, écoutez bien mes paroles : un hasard a fait tomber ces plans entre les mains d’une personne qui, connaissant leur très grande valeur, cherche à en disposer avec un petit bénéfice pour elle-même. Cette personne a déjà entrepris des démarches qui offrent de bonnes possibilités. Mais elle vient d’avoir la nouvelle que M. James Conrad est à New York et à la recherche de ces plans. Elle a donc pensé que M. Conrad serait plus généreux que quiconque… Et voilà la mission, acheva l’homme, que je désire vous confier.

— Diable ! fis-je très étonné et méfiant à la fois, ceci demande beaucoup de réflexion à cause même de la délicatesse que présente votre