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LA PETITE CANADIENNE

deaux bien tirés. Là, avant de s’aventurer plus loin, Rutten écouta. Oui, il entendait distinctement et tout près de lui la respiration calme de Mme  Fafard. La maîtresse de maison dormait paisiblement.

Rassuré encore une fois, le capitaine entra tout à fait dans la chambre. Là, il pencha vers la gauche, il se glissa aussi doucement qu’une ombre de long du mur. Il savait que la garde-robe de Mme  Fafard était là placé sous l’escalier du vestibule. Il toucha bientôt le bouton de la porte, et sans plus de bruit qu’il avait fait pour la porte de la chambre, il ouvrit celle-là, sans difficulté non plus. Puis, il se glissa dans l’intérieur du garde-robe dont il referma la porte.

Il était dans la place.

Il respira avec effort, ayant tenu sa respiration en suspens depuis trois ou quatre minutes, et il sourit avec triomphe. Décidément, l’entreprise n’allait être qu’un jeu d’enfant.

Oui, mais il ne faisait pas clair dans cette garde-robe… Le capitaine tira une allumette de sa poche et s’apprêta à la frotter. Mais il s’arrêta en tressaillant, et vers l’escalier sous lequel se trouvait la garde-robe, il prêta avidement l’oreille. Quoi ! n’avait-il pas saisi un bruit de pas étouffés dans cet escalier ?… Quoi ! n’avait-il pas entendu comme un léger accès de toux ?… Il écouta… écouta… suant, tremblant… Mais non, il n’entendait rien, rien, rien… Un silence de plomb pesait sur la maison. Il reprit confiance. Il frotta son allumette. Il ne vit d’abord que du linge de femme accroché à des patères. Il regarda, fouilla la garde-robe… mais il ne vit pas de valise !… ou… il ne vit nulle part cette valise à grande dimension et en cuir jaune dont lui avait parlé Miss Jane !… Non, non, il n’y avait pas de valise là-dedans, il en était certain !

Il jeta son allumette toute consumée et murmura avec désappointement et rage :

— Rien… rien… Miss Jane, ajouta-t-il, se serait-elle moquée de moi ? Oh !… si cela était !…

Une sourde imprécation trembla sur ses lèvres sèches.

Mais de nouveau il prêta l’oreille et frissonna…

Quoi ! n’avait-il pas encore perçu un bruit de pas au-dessus de sa tête ?… Non… il eut beau écouter, le même silence lourd demeurait. Mais, par précaution, il tira son revolver, l’assujettit, dans sa main droite, et de la main gauche ouvrit la porte du garde-robe.

Mme  Fafard dormait toujours paisiblement, et la même obscurité régnait dans la chambre.

Rutten glissa hors de la chambre, referma la porte et s’engagea dans l’escalier pour regagner son appartement, mais distrait, se demandant ce que pouvait être devenu le modèle.

Arrivé sur le palier supérieur il s’arrêta subitement, les prunelles dilatées par la surprise ou l’effroi… il regardait la porte de sa chambre. Et si dans cette noirceur il la voyait, c’est pour la bonne raison que sous cette porte glissait un rayon de lumière, or, Rutten se rappelait fort bien qu’il avait laissé sa porte toute grande ouverte. Et à présent, il la devinait fermée ! Qui l’avait fermée ?… Et puis, il se rappelait non moins bien qu’il n’avait laissé nulle lumière dans sa chambre, et voilà qu’une vive lumière éclatait sous la porte et par le trou de la serrure ! À moins que ce fut la lumière de la rue ? Non… cela ne se pouvait pas, la lumière de la rue était trop faible pour produire un tel reflet. Mais alors…

Le capitaine, tremblant, frotta ses paupières… Il voyait peut-être mal ! Mais le même rayon demeurait là… Il écouta… Le plus grand silence pesait de toutes parts.

— Allons ! se dit-il, il est impossible que quelqu’un soit entré dans ma chambre. J’ai dû fermer ma porte, et je ne me le rappelle pas. Et cette lumière qui jaillit là, ne peut être que celle de la rue. Oui, oui,… mon imagination fiévreuse grossit probablement dans cette obscurité ce qui frappe ma vue !

Mais pas trop certain de lui-même, et le revolver braqué devant lui, il marcha vers sa porte et l’ouvrit.

Un flot de lumière l’éblouit. Il s’arrêta, étouffa un cri de surprise, chancela d’effroi et recula de deux pas pour demeurer quelques secondes comme pétrifié.

Debout devant lui, bras croisés et souriant, le capitaine voyait un homme, un homme tout jeune, très joli, vêtu avec une élégance irréprochable. Et ce jeune homme disait d’une voix limpide et harmonieuse :

— Bonsoir, capitaine !

À cette même minute, un rapide travail se fit dans l’esprit de Rutten : il voyait devant lui la silhouette d’un jeune et joli garçon dont lui avait parlé Miss Jane. Et Miss Jane lui avait fait un portrait minutieux de ce jeune homme, si exact qu’il reconnaissait le jeune homme comme s’il l’avait connu de longue date. Et il murmura ce nom avec une stupéfaction extrême :

— William Benjamin !…

— Donnez-vous donc la peine d’entrer, mon cher capitaine, dit Benjamin avec ce sourire moqueur qui plissait joliment ses lèvres rouges.

Alors Rutten fit entendre un hurlement de rage, et, rapide comme l’éclair, il éleva son revolver et fit feu.

Puis il bondit en arrière, se rua dans l’escalier, atteignit la porte du vestibule, l’ouvrit, la referma avec un claquement formidable, et se trouva dehors, sans bottines, tête nue, inondé de sueurs, son cerveau tournoyant comme en un rêve de folie, et courant dans la direction de son hôtel.

La détonation de l’arme à feu avait été suivie d’un cri strident poussé par Mme  Fafard. Et la brave femme, après le premier effroi et le premier étourdissement, s’était habillée à la hâte et était montée au premier étage. Elle avait, dans son esprit troublé, la vision d’un crime, meurtre ou suicide ! De fait, le souvenir de son nouveau locataire l’avait frappée…, et déjà elle s’imaginait que cet homme si aimable, si courtois, si généreux, était venu dans sa maison pour s’y donner la mort ! Elle accourut, folle d’épouvante, dans la chambre qu’elle avait louée ce jour-là au capitaine Rutten. Mais là, elle s’arrêta, tremblante, suffoquée, étourdie,