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LA PETITE CANADIENNE

bois qui casse : la porte d’entrée venait d’être brisée et dans l’antichambre retentissaient des bruits de pas précipités, des grondements de voix furieuses, des Jurons.

— La porte est enfoncée ! murmura Pierre, en serrant Miss Jane plus fort contre lui.

— Qu’importe ! s’écria la jeune fille, il reste encore celle-ci. Oh ! je saurai bien vous défendre… je vous protégerai !

On frappait à présent à coups redoublés dans la porte du salon.

— Ouvrez ! commanda Pierre à la jeune fille qu’il voulut écarter de lui.

— Non, jamais ! Pierre, fuyez ! Vous leur échapperez… Fuyez par l’appareil de sauvetage qui passe par ma chambre à coucher ! Venez… nous fuirons ensemble !

— Pourquoi fuir, Jenny ?

— Parce qu’on vient vous arrêter !

— C’est impossible… pourquoi ?

— Au nom de la loi ! répéta la voix impérative dans l’antichambre.

Sous d’autres coups plus violents la porte craqua…

— Pour Dieu ! clama Miss Jane en cherchant à entraîner Pierre pétrifié par l’horreur, fuyez… fuyez donc !

Pierre ne parut pas entendre. Il demeura immobile, la physionomie livide, les yeux rivés sur la porte qu’on battait de coups plus durs de l’autre côté. Mais il serra davantage Miss Jane sur lui.

— N’entendez-vous pas, Pierre ? gémit la jeune fille avec désespoir. Ces hommes vont enfoncer cette porte comme la première ! Ils vont vous trouver ici ! Ils vous emmèneront !… Ah ! Dieu Puissant ! il ne veut pas m’entendre !… Et tout cela, c’est ma faute !… Malheureuse ! Maudite que je sois !…

Et, la gorge déchirée de sanglots, Miss Jane laissa sa tête retomber lourdement sur l’épaule de Pierre.

Sous les coups furieux la porte céda enfin, et quatre hommes se précipitèrent dans le salon.

Miss Jane poussa un rugissement terrible.

— Allez-vous-en ! cria-t-elle, en s’échappant des bras de Pierre, hors d’ici ! ajouta-t-elle avec un geste farouche.

— Pierre Lebon !… prononça d’une voix grave l’un des hommes de police en regardant le jeune homme.

— C’est moi ! répondit Pierre d’une voix ferme.

— Non, ce n’est pas celui que vous cherchez ! rugit Miss Jane en se dressant avec hardiesse devant les quatre hommes comme pour protéger celui qu’elle aimait.

— Madame, dit froidement l’agent de police, prenez garde ! Cet homme est un assassin… il appartient à la Justice !

— Assassin !… murmura Pierre avec ahurissement.

— Vous ne me le prendrez pas ! hurla Miss Jane. Vous ne l’arrêterez pas, moi vivante !

Et avec la furie d’une tigresse Miss Jane se jeta sur Pierre se cramponnant à lui.

— Saisissez-les ! commanda le chef de l’escorte d’une voix forte.

Les trois autres agents s’avancèrent menaçants.

— Arrière, chiens !… vociféra Miss Jane d’une voix éclatante et avec un regard effrayant.

— En avant ! hurla le chef et en tirant un revolver de sa poche.

Les trois agents s’élancèrent.

Mais ils s’arrêtèrent net au son d’une voix claire, haute et impérative qui venait de vibrer derrière eux :

— Un instant, messieurs ! avait dit la voix.

Tous se retournèrent.

En même temps une toux sèche traversa le silence qui venait de se faire.

Dans le cadre de la porte un jeune homme à la physionomie calme essuyait de son mouchoir ses lèvres souriantes.

C’était William Benjamin.

Derrière lui on pouvait apercevoir les figures placides de Tonnerre et Alpaca.

— Un instant, messieurs ! répéta William Benjamin d’une voix plus douce.

— William Benjamin !… gronda sourdement Miss Jane, tandis qu’un éclair de haine traversait sa prunelle sombre.

— Jenny Wilson !… murmura Benjamin avec la plus grande stupeur, en reconnaissant cette jeune américaine à qui il avait accordé sa protection à Montréal.

Quant à Pierre Lebon, à la vue de William Benjamin, un nom cher, aimé, adoré, mais oublié depuis quelques jours, monta de son cœur pour expirer sur ses lèvres livides ; puis son front s’empourpra d’une rougeur de honte, il ferma les yeux et chancela…

Miss Jane, toujours cramponnée à lui, l’empêcha de tomber.

Mais déjà le chef des policiers demandait à Benjamin avec hauteur :

— Qui êtes-vous ?

— Un ami, monsieur, qui vient vous dire que ce jeune homme n’est pas le meurtrier de Kuppmein.

— Comment le prouvez-vous ?

— Par ceci, répondit Benjamin en exhibant une petite feuille de papier et en s’approchant de l’homme de police.

Pour mieux saisir et suivre la scène qui va suivre, nous nous permettrons d’indiquer en peu de mots la disposition de nos personnages.

Miss Jane et Pierre Lebon, tous deux enlacés, tournaient le dos aux draperies de l’arcade. Sur leur gauche, entre l’ottomane et la porte, les trots agents subalternes demeuraient attentifs. Sur leur droite et faisant face à la porte défoncée, le chef des policiers observait Benjamin qui venait de s’approcher de lui. Et, enfin, derrière Benjamin nos deux amis Alpaca et Tonnerre étaient venus se poster.

Donc, à la plus grande stupéfaction de tous Benjamin avait exhibé une petite feuille de papier.

Et tout en tenant ce papier sous les yeux ébaubis du policier, voici ce qu’il expliquait :

— Ce matin, j’ai appris à l’hôtel Américain l’accusation qui pesait sur Monsieur Lebon. J’ai manifesté le désir de visiter la garde-robe dans lequel Kuppmein fut assassiné. J’y suis monté avec le gérant de l’hôtel et deux autres person-