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Page:Lebel - La petite canadienne, 1931.djvu/54

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LA PETITE CANADIENNE

mes déjà enlacés dans une étreinte mortelle. Puis tous deux, dans les efforts qu’ils faisaient pour s’enlever l’un l’autre, tombèrent sur le parquet et continuèrent à lutter plus férocement.

Cependant, Grossmann était revenu du choc que lui avait administré Alpaca, et d’un coup d’œil il embrassa la scène autour de lui.

Il vint Benjamin, étendu sur le plancher, mort peut-être, et Alpaca penché sur lui.

Plus loin il vit Parsons et Tonnerre aux prises.

Puis à deux pas de lui seulement, il vit la valise, et son regard, par un furtif ricochet, découvrit la porte grande ouverte et libre.

Il n’hésita pas.

Ses grosses lèvres ébauchèrent un sourire terrible. Puis il avança rapidement de deux pas, se baissa, saisit la valise, se redressa, prit son élan et se rua vers la porte.

Mais là il s’arrêta net en poussant un rugissement sauvage : deux hommes lui barraient le passage.

Grossmann fit aussitôt un bond en arrière. Mais dans ce bond son pied heurta quelque chose qui le fit tressaillir d’une joie farouche : cette chose, c’était le revolver de Parsons.

Avec la rapidité de l’éclair, Grossmann se baissa, ramassa l’arme et la braqua sur les deux hommes en criant :

— Place !

Mais Grossmann n’avait pas été assez prompt, car l’un des deux hommes venait précisément de le mettre en joue d’un revolver et faisait feu. Et cet homme, était Levy Craigton, l’agent de police à la solde de Robert Dunton et que Benjamin s’était attaché.

Atteint en pleine poitrine, Grossmann échappa son arme et sa valise, recula en titubant, ses yeux louchèrent énormément en se fixant sur l’homme qui venait de le tirer avec une si belle justesse, puis il proféra une lourde imprécation et s’écrasa tout d’une pièce en prononçant ce nom :

— Craigton !…

Pendant une minute Grossmann se tordit comme un reptile enragé, puis il s’immobilisa peu à peu. Et trois minutes n’étaient pas écoulées qu’il était mort.

Cependant, la lutte entre Parsons et Tonnerre se poursuivait toujours furieuse, toujours mortelle.

Aux grondements sourds de Parsons répondaient les jurons aigres de Maître Tonnerre qui, malgré le désavantage de la taille, parvenait à conserver le dessus. Il faisait d’effrayants efforts pour étrangler son adversaire.

Il finit par y réussir, lorsque, sous l’étreinte de ses dix doigts de fer furieusement incrustés dans la gorge de Parsons, celui-ci devint livide et sortit la langue qui s’allongea énormément entre ses lèvres violacées.

— Grâce !… haleta Parsons.

— Hein ! Grâce !… hurla Tonnerre, hoquetant et suant. Ah ! tu y viens à la fin, gueux ! Mais, par tous les testaments ! c’est au fond de l’enfer d’où tu viens que tu iras réclamer grâce ! rugit Tonnerre.

— Laissez-le !… commanda tout à coup une voix derrière Tonnerre.

Tonnerre tourna la tête et reconnut l’agent de police Craigton.

— Hein ! le lâcher, dites-vous ?… Pour qu’il morde encore comme un chien enragé qu’il est ?… Non, qu’il crève, le maudit !

— Nous avons besoin de cet homme, reprit l’agent. Du reste, avec ceci, je vous assure qu’il ne cherchera plus à mordre.

Et l’agent exhibait sous les yeux de Tonnerre une paire de jolies menottes.

— À la bonne heure ! répliqua Tonnerre. Si vous pouvez lui mettre ça, je le lâcherai après !

En un tour de mains les deux policiers montrèrent leur adresse à jouer de ce jeu, et la minute d’après Parsons se trouva les poings enserrés dans cet étau.

— Ouf !… exclama Tonnerre en se relevant. Il n’y a pas à dire, mais cet animal m’a joliment donné du fil à retordre !

Et Tonnerre, tout ruisselant de sueurs, épongeait son visage blêmi par l’effort et son crâne déplumé.

William Benjamin, cependant, était revenu de son évanouissement. Alpaca l’avait relevé et installé dans un fauteuil.

— Comment vous sentez-vous ? demanda-t-il après un moment.

— Mieux ! répondit Benjamin d’une voix faible.

Il fut durant trois ou quatre minutes violemment secoué par un accès de toux, et en même temps une écume rosée parut au coin de ses lèvres.

Très inquiet, Alpaca demanda encore :

— Voulez-vous que je cours chercher un médecin ?

— Non !  !  ! attendez… Plus tard !

— Plus tard pourrait être trop tard ! répliqua Alpaca d’une voix tremblante. Car, ajouta-t-il, je vois du sang à votre poitrine… car vous êtes blessé sérieusement !

— Ce ne sera rien interrompit Benjamin avec un pâle sourire.

À cet instant, les deux policiers, après avoir maîtrisé Parsons, s’approchaient de Benjamin ainsi que Tonnerre qui avait repris possession de la valise.

— Qu’on aille chercher une auto ! ordonna Benjamin.

— Où voulez-vous aller ? demanda Tonnerre, surpris.

— Au Palais de Justice, où nous sommes attendus ! Allez, vite ! commanda-t-il encore rudement.

Tonnerre posa sa valise près d’Alpaca, disant :

— Tenez un œil sur cette valise, cher Maître, c’est moi qui cours chercher l’auto… ça me connaît !

Et d’un bond il s’élança par la porte ouverte et disparut.


XVI

LES MASQUES TOMBENT


Tandis que se déroulait ce drame rue Dorchester, une autre scène se préparait dans le cabinet du magistrat de police au Palais de Justice.

À neuf heures précises l’avocat, Lucien Mont-