Page:Lebel - La petite canadienne, 1931.djvu/56

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
54
LA PETITE CANADIENNE

le beau jeune homme, avait caché son visage dans son mouchoir.

Mais tous les autres personnages avaient fixé leurs yeux sur William Benjamin que Tonnerre et Alpaca conduisaient près de la table du juge où Montjoie venait de disposer un fauteuil.

— Je vois, dit le magistrat, avec surprise, que vous m’amenez, un bandit ; mais quant à ce jeune homme, je le crois plutôt bon pour l’hôpital.

William Benjamin, qui venait d’atteindre le fauteuil que lui indiquait Montjoie, sourit et répliqua d’une voix faible, mais distincte.

— C’est à l’hôpital, en effet, que je vais, Monsieur le juge. Seulement, avant de me rendre jusque-là, j’avais affaire à passer par ici.

— Ah ! ah ! sourit le juge. Je parie que vous êtes l’un des témoins attendus ?

— Je suis plus qu’un témoin, Je suis un accusateur ! Mais avant d’accuser, Je tiens à exprimer ma reconnaissance à la Justice pour avoir libéré un innocent.

Et William Benjamin regarda Conrad dont les yeux clignotaient rapidement.

— Ah ! ah ! fit le Juge, vous saviez que Monsieur Conrad était innocent.

— Oui. Comme je savais que Pierre Lebon était innocent du vol qu’on lui a imputé, comme je savais qu’Henriette Brière était innocente du même vol. Car le véritable auteur de ce vol, monsieur le juge, le voici !

Et Benjamin pointa un index menaçant vers Peter Parsons.

Celui-ci fit entendre un grognement indistinct et baissa les yeux sous les regards brûlants de Benjamin et ceux, pleins de mépris, des spectateurs de cette scène.

Puis Benjamin reprit s’adressant directement à Parsons :

— Peter Parsons, je t’accuse d’avoir volé au bureau de James Conrad, en son coffre-fort, les plans du Chasse-Torpille qu’il avait acquis de Pierre Lebon ! Peter Parsons, je t’accuse d’avoir volé en l’appartement de Pierre Lebon, sur la rue Saint-Denis, le modèle du même Chasse-Torpille ! Peter Parsons, je t’accuse d’avoir, du haut du pont Victoria, jeté dans le fleuve Henriette Brière ! Peter Parsons, je t’accuse d’avoir tenté d’assassiner tout à l’heure William Benjamin. — Peter Parsons, si j’ai menti, dis-le !

Et William Benjamin croisa ses bras et attendit.

Parsons ne répliqua pas, mais on pouvait voir des flammes terribles éclater au fond de ses prunelles jaunes.

Un grand silence se fit.

Le magistrat d’une voix grave rompit le silence.

— Peter Parsons, demanda-t-il, admettez-vous les accusations qu’on vient de porter contre vous ?

Parsons leva la tête brusquement et cria :

— J’ai volé, soit, mais je n’ai pas assassiné Henriette Brière !

— Ah ! fit Benjamin avec un rire narquois, vous ne reconnaissez pas l’avoir jetée dans le fleuve du haut du pont Victoria !

— Non ! rugit Parsons.

Et lançant à Benjamin un regard de haine atroce, Parsons se tourna vers le juge et ajouta :

— Cet homme qui m’accuse d’un tel crime a menti ! Henriette Brière, comme il a été reconnu, s’est noyée elle-même, elle s’est suicidée, et personne ne peut être tenu responsable de sa mort !

— Mais si par miracle, Henriette Brière en personne, bien vivante, venait elle-même t’accuser, Peter Parsons, de l’avoir une nuit jetée dans le fleuve ?…

Et avec ces paroles dites lentement, Benjamin esquissait un sourire énigmatique.

Parsons frissonna longuement. Tous les spectateurs se regardèrent avec stupeur, et leurs regards fouillèrent les quatre coins de la pièce comme dans l’espoir pour les uns et la crainte pour les autres de voir tout à coup apparaître la petite canadienne.

Mais Parsons domina vite son effroi, et voulant payer d’audace il s’écria rageusement :

— Trêve de sottises… Henriette Brière est morte !

Benjamin, sans perdre le sourire ambigu qui courait sur ses lèvres, se tourna vers Alpaca et Tonnerre et dit :

— Parlez à votre tour, mes amis !

Alpaca avança de deux pas devant la table du juge et dit :

— Dans la nuit du 8 mai, entre une heure et deux, mon ami, Maître Tonnerre ici présent, et moi-même, avons sauvé d’une noyade Henriette Brière !

Tonnerre s’approcha à son tour et déclara :

— Dans la nuit du 8 mai, entre une heure et deux, mon ami, Maître Alpaca ici présent, et moi-même, avons sauvé d’une noyade Henriette Brière !

Alors Parsons jeta cette dénégation :

— Ces deux hommes ont menti, ils ont repêché un cadavre… le cadavre d’Henriette Brière !…

Benjamin sourit encore, regarda les deux compères et dit :

— Parlez encore, mes amis !

Alors Alpaca et Tonnerre d’une même voix dirent :

— Voici la personne que nous avons repêchée… c’est-à-dire Henriette Brière !…

Et ils indiquaient William Benjamin qui, cette fois, plaça son visage en pleine lumière et qui éclata d’un rire argentin, d’un rire heureux de jeune fille…

— Que le toit du Palais de Justice se fût écroulé, il n’aurait certes pas produit un plus vif émoi !

Henriette Brière !… Henriette Brière !…

Ce nom courut sur toutes les lèvres avec des intonations diverses !

Conrad était tombé sur un siège, frappé de vertige. Non… ce n’était pas croyable !

Ethel Conrad pleurait de joie dans les bras de sa mère.

Lucien Montjoie souriait avec triomphe.

Fringer ne perdait pas son sourire narquois.

Mais Parsons tremblait et cherchait par de vains efforts à briser les menottes qui enserraient ses poignets. Puis, croyant que l’émotion et la surprise troublaient tous les spectateurs de cette scène, il eut l’idée de fuir. Il bondit tout à coup vers la porte qui était demeurée en-