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LA VALISE MYSTÉRIEUSE

Kuppmein poussa la grille et marcha rapidement vers la maison dont la façade était ornée d’un beau perron de pierre surmonté d’une marquise. L’allemand monta lentement les cinq marches du perron, prit une clef dans une de ses poches et ouvrit la porte. Il pénétra dans un vestibule noir comme un four, referma la porte pressa un bouton. Le vestibule s’éclaira vaguement sous la clarté d’une lampe électrique à verre bleu pâle suspendue au plafond.

Ce vestibule était spacieux, propre et garni de banquettes bien rembourrées. Quatre ou cinq portières bien tirées masquaient des portes closes. Vers le centre du vestibule un large escalier s’élevait vers les étages supérieurs. Kuppmein se dirigea vers cet escalier. Il s’arrêta au premier étage et se dirigea vers une pièce située à l’arrière de la maison. Cette pièce était uniquement meublée d’une table et de quelques fauteuils. Les murs étaient décorés de papier-teinture et nus. Une torchère électrique éclairait cet appartement.

Après avoir soigneusement refermé la porte, Kuppmein consulta sa montre.

— Dix heures et dix ! murmura-t-il, je suis en avant de cinq minutes.

Il se jeta dans un fauteuil, alluma un cigare et tira un journal de sa poche.

Un silence de plomb pesait sur la maison.

Le temps s’écoula lentement.

De nouveau Kuppmein regarda sa montre.

— Bon ! grogna-t-il avec humeur, ces deux imbéciles sont en retard… dix heures vingt !

Il se leva brusquement, jeta son journal sur la table, marcha vers la fenêtre dont il souleva le châssis et prêta l’oreille aux bruits du dehors.

À cet instant un pas lourd et rythmé résonnait sur le trottoir, puis s’éteignait peu à peu dans la nuit.

— Ni l’un l’autre ! murmura Kuppmein. Ce ne peut être que l’un de ces bons policemen qui patiemment traînent sur le pavé leurs bottes et leur ennui.

Il laissa retomber le châssis et revint à son fauteuil pour reprendre sa lecture. Mais il paraissait agité et fort distrait.

Dix minutes encore se passèrent, quand un bruit métallique et sec le fit tressaillir. Ce bruit provenait de la grille de fer qu’une main nerveuse avait repoussée avec rudesse.

Kuppmein écouta.

Puis un murmure de voix arriva jusqu’à lui, des pas précipités retentirent, une porte claqua au rez-de-chaussée, une course impétueuse réveilla les échos silencieux de la maison.

Haletant, Kuppmein attendit.

L’instant d’après, la porte de la pièce où il se trouvait s’ouvrit avec violence, et deux hommes aux allures de fous furieux firent irruption.

— Eh bien ? interrogea avidement Kuppmein en voyant paraître Grossmann et Fringer.

— Volés !… hoqueta Fringer.

— Volés !…hurla Grossmann.

— Volés !… fit Kuppmein en écho stupide.

— Oui… volés… plans et modèle ! compléta Grossman en lançant avec fureur sa valise vide dans un coin de la pièce.

— Expliquez-vous ! commanda Kuppmein, tout ahuri.

Fringer narra alors les exploits de l’homme barbu de noir.

Quand il eut achevé, Kuppmein leva un poing furieux vers le plafond et cria : Damnation !

Puis, tandis que Grossmann et Fringer, suant, haletant, se jetaient chacun dans un fauteuil, Kuppmein se frappait le front comme saisi d’une idée, et il pensait :

— Oh ! Si c’était ce damné colonel, par hasard !… ce soûlard, ce crève-faim, ce voleur !… oh ! je le saurai bien !…

À la très grande stupéfaction de ses deux associés, il saisit brusquement sa canne et quitta la pièce en disant d’une voix rauque :

— Attendez mon retour !…

En quelques enjambées — on ne l’eût cru si alerte — il dégringola l’escalier, et, deux minutes plus tard, il était sur la rue et se dirigeait d’un pas rapide vers le Square Dominion. Où allait-il ? Mystère ! Mais il n’avait pas fait trente pas, qu’un homme se détacha soudain d’un pan d’ombre et se plaça carrément sur son passage.

Croyant, avoir affaire à quelque détrousseur, Kuppmein porta une main rapide à une poche de son pantalon pour y prendre son revolver. L’homme vit ce geste et leva vivement une main en signe de protestation, disant :

Pardon, monsieur Kuppmein ! je ne suis pas ce que vous pensez.

Kuppmein s’arrêta net, très surpris d’entendre son nom prononcé par cet inconnu.

— Vous me connaissez donc ? fit-il en essayant de reconnaître les traits de cet homme.

— Un peu… oui

— Et qui êtes-vous ?

— Il ne dépendra que de vous que vous sachiez mon nom.

— Que voulez-vous ?

— Vous dire deux mots seulement.

— J’écoute.

— J’ai dit « deux mots », reprit l’homme, et les voici : Plans… Modèle !

Kuppmein tressauta, puis se rapprocha vivement de l’homme pour lui jeter, dans la demi-obscurité qui régnait à cet endroit, un regard perçant et scrutateur. Une exclamation de stupeur s’échappa malgré lui de ses lèvres, il fit deux pas de recul et murmura tout bas :

— L’homme à la barbe noire qu’ont vu Fringer et Grossmann !

L’autre, qui n’avait pu saisir ces paroles mais à qui n’avait pas échappé la mine effarée de l’allemand, fit entendre un sourd ricanement et demanda :

— Vous savez donc ce que je veux dire ?

Mais la défiance de Kuppmein était en éveil, et redoutant un piège, il répondit d’une voix calme :

— Pas du tout. C’est ce qui explique la surprise que j’ai manifestée dès l’abord.

Un second ricanement plus prolongé roula sur les lèvres de l’inconnu.

— Bon ! dit-il négligemment, il sera facile de nous entendre tout à l’heure ; et puisque vous l’exigez, je vais vous mettre les points sur les i… Est-ce ce que vous voulez ?