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LA VALISE MYSTÉRIEUSE

main fébrile il agita les paperasses, vida les casiers, bouscula des livres de comptes, marmonna des paroles intelligibles, puis il frémit et pâlit… Il ne retrouvait plus l’enveloppe jaune en laquelle il avait, la veille, inséré les plans du Chasse-Torpille.

Dunton attendait, froid et impassible.

Henriette regardait Conrad avec inquiétude.

— Eh bien ? fit impatiemment Dunton de sa voix dure.

Conrad tourna vers son associé une figure livide et baignée de sueurs, et des yeux qui clignotaient terriblement. Il répondit d’une voix mal assurée :

— Tenez ! voyez-vous ce casier ?… C’est là que j’avais déposé les plans que renfermait une enveloppe jaune.

— Et cette enveloppe, demanda Dunton en dardant un regard singulier sur Conrad, qu’est-elle devenue ?

— C’est, ce que je me demande depuis cinq minutes. Voyez vous-même, le casier est vide… Et parmi ces papiers rien qui ressemble à l’enveloppe en question.

Henriette avait pâli à son tour.

Dunton murmura :

— C’est étrange.

— C’est à n’y rien comprendre ! ajouta Conrad sur un ton découragé.

Henriette hasarda cette hypothèse :

— Peut-être, monsieur Conrad, avez-vous repris l’enveloppe pour la déposer ailleurs ?

— Non, mademoiselle. Je suis certain de l’avoir mise dans ce casier vide, puis d’avoir, peu après, refermé la porte du coffre-fort.

— À coup sûr, remarqua Dunton, ces plans ne se sont pas envolés d’eux-mêmes !

— Je le sais bien, répliqua Conrad en se remettant à fouiller le coffre-fort.

— Alors, que pensez-vous de cette disparition ?

— Que voulez-vous que je pense, sinon que ces plans ont été enlevés de là par d’habiles filous dans le cours de la nuit dernière.

— Qui aurait eu intérêt à les prendre demanda encore Dunton sur un ton ironique.

— Vous m’en demandez trop ! répliqua Conrad gagné par l’impatience et le mécontentement. Laissez-moi, ajouta-t-il, je vais poursuivre mes recherches.

Dunton hocha la tête et s’apprêta à se retirer, quand, soudain, la porte du cabinet de Conrad s’ouvrit violemment. Pierre Lebon, effaré et haletant, fit irruption et jetant un cri qui fit bondir Henriette et Conrad :

— On m’a volé mon modèle !

Et le jeune homme, à bout de forces, se laissa choir sur un fauteuil.

Un silence funèbre plana sur le groupe atterré de ces quatre personnages.

En l’esprit de Conrad un soupçon se dessina, puis un nom flamboya : KUPPMEIN !

Ce même nom agira la pensée de Dunton, et son œil froid, en se posant sur Conrad, se fit soupçonneux.

Seule, peut-être, Henriette entrevit un peu de la vérité, lorsque son souvenir lui rappela l’homme barbu de noir et porteur d’une lourde valise. Elle frémit et ses yeux lancèrent des éclairs. Deux noms vinrent à ses lèvres, mais deux noms qu’elle n’osa pas prononcer ; PHILIP CONRAD… KUPPMEIN !

Enfin, l’ingénieur rompit le silence et dit en regardant Lebon :

— Celui qui a volé votre modèle doit être le même personnage qui nous a volé les plans !

— Que dites-vous ?… Les plans aussi ?… s’écria l’inventeur en se dressant, hagard et tremblant.

— Plans et modèle… tout, c’est une affaire réussie à merveille ! ricana sourdement Dunton qui, raide et le pas saccadé, quitta le cabinet.

À peu près à la même heure et dans une autre partie de la Métropole, se passait une scène d’un autre genre qui ne manque pas d’intérêt pour la suite de notre récit.

C’était rue Metcalf.

À deux cents verges environ de la rue Sainte-Catherine. et au sein d’une touffe de verdure fleurie qu’ombrageaient des ormes et des lilas, s’élevait une petite maison en briques rouges à un seul étage.

Le rez-de-chaussée de cette maison était habité par un couple de vieilles gens ordinaires d’Angleterre et vivant au pays depuis de nombreuses années.

À son arrivée en Canada, l’homme s’était mis dans le commerce, et durant trente années il avait passé par les hausses et les baisses ; mais il avait fini par amasser de quoi suffire à ses vieux jours et à ceux de sa compagne. Et maintenant le brave couple vivait retiré dans ce petit nid de verdure, tout à fait charmant, où l’ancien commerçant cultivait dévotement ses fleurs.

Vers le milieu de l’hiver de 1915, ils avaient loué le premier étage à Philip Conrad qui, de l’humble poste qu’il occupait au Département de la Milice à Ottawa, avait été envoyé à Montréal en qualité de lieutenant-colonel pour le service du recrutement militaire. Cette promotion doublait le salaire, et le militaire profita de ce que n’avait pu profiter le pauvre employé de bureau : il s’amusa. D’ailleurs il était né lui semblait-il, pour les plaisirs de ce monde. Jusqu’à ce jour il ne lui avait manqué que l’argent : mais l’argent étant venu, pourquoi n’aurait-il pas joui de l’existence ? Et puis, tout coïncidait : avec la guerre qui venait d’éclater, le monde croyant sa fin venir, s’empressait de prendre sa plus grande part de plaisirs. Ce fut comme un déchaînement… Avant on disait : les affaires avant le plaisir ! Depuis la guerre, on clamait : le plaisir avant les affaires ! Philip Conrad se jeta dans la mêlée. Mais le salaire, quoique respectable, ne suffisait pas. Il fit des dettes, il eut recours à mille expédients, mais il ne cessa de s’amuser. Il ne se passait pas de jours qu’il ne méditât quelque bonne escroquerie, mais aucune occasion sérieuse ne se présentait. Enfin, il voguait comme il pouvait, comptant qu’un bienheureux hasard ferait un de ces jours tomber en ses mains quelque magnifique magot.

Ce matin-là — il était dix heures — le brave Colonel, enveloppé dans une chaude robe de chambre lainée de bleu et cotonnée de rouge, confortablement allongé dans un moelleux fauteuil, les pieds coulés dans des pantoufles,