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Page:Lebel - La valise mystérieuse, 1930.djvu/21

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LA VALISE MYSTÉRIEUSE

— Je n’ai pas dit que je ne veux pas monsieur, entendons-nous !

— Oui, mais je suis pressé.

— Eh bien ! soit donc ! soupira l’ordonnance.

D’une main tremblante il sortit d’une poche de sa tunique un billet de dix dollars soigneusement plié, et le tendit comme à regret à l’officier qui prestement le saisit, l’enleva et l’enfonça dans sa poche.

La minute suivante, il était dehors et sur la rue. Son premier regard fut pour la maison faisant vis-à-vis à son appartement. Il tressaillit violemment. À travers la véranda et par la porte ouverte de la maison il venait d’apercevoir une jeune fille, grande, élancée, de formes parfaites, autant qu’il y put voir, et possédant des cheveux qui lui parurent de la couleur du plus beau cuivre. Mais ce ne fut pas cette jeune fille qui créa sur lui la plus grande impression, ce fut le visiteur qu’elle recevait. Et ce visiteur, bien que la porte se fût vivement refermée sur lui, bien qu’il n’eût pu que l’entrevoir, le colonel le reconnut.

C’était Kuppmein !

— Oh ! oh ! se dit le colonel en se dirigeant vers la rue Sainte-Catherine, est-ce que cette remarquable jeune fille ne serait pas cette Miss Jane ?… Miss Jane courtisée par Kuppmein ! murmura-t-il lentement.

Un sourire ambigu courut sur ses lèvres, puis il murmura encore :

— C’est bien, on aura l’œil de ce côté !

Cependant, Tom, l’ordonnance du colonel, était demeuré seul.

Sitôt après le départ de l’officier, le sourire narquois de Tom s’amplifia, ses yeux chafouins pétillèrent de certaine joie malicieuse, et sa tête tourna de côté et d’autre, tandis que son regard perçant inspectait tous les coins et recoins de la pièce. Puis, il se mit à fureter çà et là, fouillant les meubles, examinant les objets, inventoriant. Un sofa, très bas, parut attirer son attention plus que les autres pièces du mobilier. Vivement, il se baissa et regarda dessous. Il se redressa en grommelant.

— Pas de gibier ici !… Passons dans la chambre à coucher.

Par une porte entr’ouverte on pouvait découvrir le désordre d’une chambre de garçon. Tom poussa tout à fait cette porte d’un coup de pied… c’était sa façon d’ouvrir les portes. Mais avant d’en franchir le seuil, il s’arrêta pour promener autour de la chambre un regard investigateur.

Un moment, son sourire narquois s’éclipsa, un pli dur barra son front, et il murmura :

— Mon flair m’aurait-il trompé ?

Il se pencha pour regarder sous le lit. Rien là !

Il se dirigea vers une armoire et en essaya la porte. Cette porte résista.

— Vais-je forcer la serrure ? se demanda-t-il réfléchissant.

Au même instant son œil perçant ricocha sur la porte d’un garde-robe voisin.

Il fit quelques pas rapides, tourna rudement le bouton et la porte s’ouvrit toute grande,

Tom exécuta aussitôt un bond de surprise joyeuse, ses yeux se dilatèrent et son sourire narquois reparut, mais triomphant cette fois.

Que voyait-il donc ?… Une valise, tout simplement. Mais une valise toute neuve, d’un beau cuir jaune, mais d’une dimension extraordinaire… une valise, enfin, tout à fait étrangère au logis.

— Ho ! ho ! fit Tom en se grattant le nez, voici donc le pot aux roses, ou mon âme est au diable !

Avec précaution il souleva la valise et la soupesa.

— C’est bien le pot aux roses ! conclut-il en reposant la valise.

Une idée traversa son cerveau.

— Tiens ! tiens ! se dit-il avec son sourire ironique, est-ce que le colonel aurait par hasard des accointances avec ce… cet homme barbu de noir ?… Bizarre !… Très bizarre !…

Pendant quelques minutes il demeura méditatif. À nouveau son sourire goguenard abandonna ses lèvres minces, sa figure se rembrunit, ses yeux bruns brillèrent ardemment, et d’une voix basse et très sourde il murmura :

— En ce cas, part à deux, mon colonel !


VII

MISS JANE


En sortant de chez lui, le colonel avait donc été très surpris de voir Kuppmein entrer dans la maison située en face de son appartement. Plus surpris encore il était de savoir que Kuppmein était reçu par cette Miss Jane dont lui avait parlé son ordonnance.

Mais le colonel aurait été cent fois plus surpris, s’il avait pu entendre la conversation qui avait lieu, quelques minutes après, entre Kuppmein et la belle Miss Jane.

Dans un petit parloir coquettement décoré et ayant vue sur la rue et sur la maison habitée par Philip Conrad, le gros Kuppmein, enfoncé dans une bergère, causait avec la jeune fille qui, nonchalamment étendue sur un canapé, venait d’allumer une cigarette qu’elle fumait, sans contredit, avec une impudente coquetterie.

C’était une rousse dont la tête supportait fièrement une chevelure de flammes, massive et lourde, au visage d’un remarquable ovale et de la plus parfaite harmonie de traits. La peau était laiteuse, très légèrement rosée, très veloutée. On eût dit une figure d’ange. Mais cette impression était fortement atténuée en regardant la bouche… et pourtant quelle bouche exquise avec ses lèvres si rouges et fraîches ! Mais à ces lèvres s’ébauchait, non un sourire d’ange, mais non plus un sourire de démon, seulement le sourire était sarcastique et dédaigneux, et il troublait celui qui le regardait. Ses yeux aussi, quoique fort beaux, créaient une impression étrange : ils étaient très noirs brûlants, magnétiques, mais il semblait en surgir des effluves féroces. La panthère, lorsqu’elle guette une proie, a, dit-on, de pareils effluves, et l’éclair de ses yeux devient insupportable. Il en était de même de Miss Jane, on ne pouvait supporter longtemps l’éclat de ses yeux. Aussi bien, Kuppmein ne la regardait-il pas en parlant, ne levant sur elle qu’un timide coup d’œil de temps à autre.