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LA VALISE MYSTÉRIEUSE

ver. Mes amis, ajouta-t-elle avec une expression d’énergie qui fit l’admiration des deux compères, la tâche sera plus rude encore que je ne l’avais pensée. C’est une bataille en règle que nous allons engager et que nous devons gagner à tout prix. Êtes-vous décidés ?

— Toujours ! affirma Alpaca d’une voix ferme.

— Plus que jamais ! fit Tonnerre avec un geste résolu.

— C’est bien, dit Henriette, votre énergie redouble ma confiance, dans la cause que j’ai entrepris de défendre. Maintenant, écoutez-moi bien attentivement. Demain, entre trois et quatre heures de l’après-midi, vous vous rendrez à l’Île Sainte-Hélène que vous traverserez. Vous dirigerez ensuite vos pas vers l’extrémité est de l’Île dans un endroit désert de la rive. Une fois là, vous aurez l’œil et l’oreille aux aguets. Vous entendrez la chute d’un corps à l’eau et, ce bruit guidant vos pas, vous découvrirez flottant sur l’eau le corps inerte d’une jeune fille…

— Ho !… s’écrièrent Alpaca et Tonnerre en sursautant.

— Et cette jeune fille, continua Henriette avec un sourire tranquille… ce sera moi !

— Vous !… Et avec cette exclamation les deux amis s’entre-regardèrent avec une comique stupéfaction.

— Mais rassurez-vous, ajouta Henriette en riant, je ne serai pas morte.

— À la bonne heure ! dit Alpaca en respirant bruyamment.

— Cette façon de parler, mademoiselle, est plus en harmonie avec la courtoisie, ajouta Tonnerre en essuyant sa tête chauve sur laquelle les paroles d’Henriette avaient fait perler une sueur abondante.

— Seulement, reprit Henriette, je serai inerte en une sorte de léthargie qui me donnera la rigidité de la mort, et cette mort factice durera vingt-quatre heures ou moins. Donc, comme vous êtes de hardis nageurs, vous me tirerez du fleuve comme vous l’avez si héroïquement fait hier, et vous vous arrangerez ensuite pour me faire conduire à la morgue. Naturellement, vous ne me connaîtrez pas : je serai pour vous une étrangère que le hasard seul vous aura fait découvrir. Voilà tout ce que vous aurez à faire. Quant au reste, ça regarde d’autres personnes qui seront prévenues en bon temps ; et demain soir vous recevrez de moi de nouvelles instructions. Ainsi, puis-je compter que vous serez à l’Île Sainte-Hélène à l’heure dite et à l’endroit convenu ?

— Nous y serons, répondirent d’une seule voix les deux anciens pitres.


XVIII

UNE PAIRE D’AMIS


Sept heures du soir étaient sonnées.

Au travers de la foule des voyageurs et des curieux et désœuvrés qui encombraient les quais de la Gare Windsor, un individu, gros et gras, la mine fleurie, tiré à quatre épingles et surchargé de bagages, se fit difficilement jour, franchit l’une des grilles et gagna le convoi du Rutland sous pression, en destination de New-York.

L’employé à peau d’ébène, militairement campé près du marchepied du wagon-lits, s’empressa au-devant du gros homme, dont l’importance était fort évidente, et s’empara de ses bagages.

L’instant d’après le gros voyageur, qui n’était autre que ce brave Kuppmein, disparaissait dans le wagon.

Or, en deçà des grilles et mêlés à la foule grouillante, deux individus avaient paru observer avec un intérêt intense le passage de Kuppmein que, d’un œil ardent, ils avaient suivi jusqu’au convoi.

L’un d’eux, de haute taille et de forte encolure. ayant pour sommet une tête grotesque coiffée d’un large feutre gris, et vêtu d’un habit à carreaux noirs et blancs, se tenait adossé au mur de la gare.

L’autre, mince et fluet, avec une figure pâle et maladive, la lèvre supérieure ornée d’une moustache noire aux pointes tournées en queue de cochonnet, semblait chercher à dissimuler sa présence derrière un groupe de voyageurs.

Ces deux individus demeurèrent rivés à leur place respective jusqu’au départ du convoi de New York. Puis satisfaits et assurés, sans doute, que leur homme était bel et bien parti, tous deux se mirent en mouvement pour quitter la gare.

L’un, celui qui était demeuré adossé à la muraille de l’édifice, se dirigea vers la sortie qui donnait sur la rue Dorchester ; l’autre parut gagner la salle générale, si bien que tous deux, la minute d’après, se croisaient inopinément, se dardaient un regard méfiant, puis s’arrêtaient brusquement avec ces deux noms prononcés à mi-voix :

— Grossmann !…

— Fringer !…

Puis deux mains, par formalité de rencontre plutôt que par amitié, se tendaient l’une vers l’autre et se serraient.

Pendant que les deux hommes se posaient les questions d’usage en pareille circonstances, une femme de noir vêtue et le visage complètement caché sous une épaisse voilette, la tournure élégante et jeune, passa près d’eux, les frôlant presque. En même temps, elle tourna la tête très légèrement vers les deux hommes, et en même temps aussi, sous l’épaisse voilette, deux regards d’acier s’illuminèrent.

À dix pas plus loin la femme s’arrêta. Durant un moment, ses yeux demeurèrent attachés sur les deux associés, puis on aurait pu entendre ces paroles murmurées :

— Grossmann et Fringer… Que dois-je faire ? Kuppmein est parti avec les plans du Chasse-Torpille, mais il n’a pas le modèle. Et ce modèle, que j’ai tenu en mes mains un moment… Le diable seul peut savoir où il est à cette heure.

Un rauque rugissement accompagna ces derniers mots, et la jeune femme poursuivit :

— Enfin, Pierre Lebon et sa fiancée sont accusés du vol des plans et du modèle. Il y a cer-