Page:Lebel - La valise mystérieuse, 1930.djvu/54

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
52
LA VALISE MYSTÉRIEUSE

Ce fut jeu d’enfant pour les deux intrépides nageurs… Cinq minutes ne s’étaient pas écoulées qu’ils ramenaient sur le rivage le corps de la jeune fille.

— Elle est morte pour sûr ! émit Tonnerre avec inquiétude.

— Léthargie, Maître Tonnerre ! prononça laconiquement Alpaca. Ou si vous préférez, ajouta-t-il de sa voix grave, coma, catalepsie… bref, tout ce qui ressemble à la mort et qui, cependant, n’est pas la mort ! Moi, acheva-t-il avec une conviction inébranlable, je crois en Mademoiselle Henriette !

— Je veux bien que vous disiez vrai, cher Maître ! soupira Tonnerre peu convaincu.

Les deux amis s’étaient vêtus en quelques instants.

— À présent, dit Alpaca, il nous reste à exécuter la dernière partie des instructions de Mademoiselle Henriette.

— À la morgue donc ! s’écria Tonnerre.

— Au bateau d’abord ! rectifia Alpaca.

Une heure environ après l’incident, le corps de la jeune fille reposait à la morgue rue Notre-Dame.

Le lendemain, les journaux annonçaient que le cadavre d’une jeune fille avait été repêché près de l’Île Sainte-Hélène par deux inconnus. Ils ajoutaient que la mort semblait dater de quelques jours, que l’identité de cette jeune fille n’avait pu être établie encore, et ils donnaient une description de la noyée.

Or, ce même jour, vers dix heures de la matinée, un vieillard arrivait précipitamment à la Morgue, disait s’appeler Antoine Brière, cultivateur à Saint-Félix de Joliette, qu’il était venu, la veille, rendre visite à sa fille dont il avait appris la disparition mystérieuse, et qu’enfin, par le signalement fourni par un journal, il croyait trouver sa fille à la Morgue.

L’homme fut conduit à la salle des cadavres.

En apercevant le corps inanimé d’Henriette, le vieillard tomba à genoux et se mit à pleurer.

Et voici ce que disaient les journaux du soir :

Nous sommes informés que le cadavre de la jeune fille repêché hier à l’Île Sainte-Hélène a été identifié ce matin. Cette jeune fille s’appelait Henriette Brière. Elle était employée aux bureaux des ingénieurs-fabricants Conrad et Dunton. On croit à un suicide. Son père, Antoine Brière, cultivateur de Saint-Félix, comté de Joliette, venu à Montréal pour rendre visite à sa fille, a retrouvé celle-ci sur les dalles de la Morgue. Le malheureux père a été autorisé à emmener le corps à Saint-Félix où aura lieu l’inhumation.

Coïncidence curieuse : sur les mêmes journaux on pouvait lire dans les notes sociales :

Mr. William Benjamin, Jr., banquier de Chicago, est dans la Métropole pour affaires et loge au Corona.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Le même soir nous retrouvons Alpaca et Tonnerre dans leur chambre, rue Saint-Denis. Ils ont lu les faits divers que nous venons de reproduire et se communiquent leurs impressions.

— C’est égal, disait Tonnerre avec une expression de doute sur sa figure rubiconde, je croirai à sa léthargie à Mademoiselle Henriette que quand je l’en aurai vue revenir !

— Incrédule ! reprocha sévèrement Alpaca. Triple Thomas, ajouta-t-il, est-ce que ces lignes relatives à William Benjamin ne suffisent pas à vous convaincre ?

Tonnerre secoua la tête.

— Et pourquoi n’êtes-vous pas encore convaincu ? demanda Alpaca qui finissait par devenir lui-même tout aussi incrédule que son camarade.

— Parce que cette note de journal que vous apportez comme preuve irréfutable de votre argumentation, cher Maître, a été rédigée et envoyée par Mademoiselle Henriette elle-même avant son affaire de l’Île, c’est évident… Donc, hier elle vivait, aujourd’hui elle est morte ! Et si vous pouvez me sortir de là, cher Maître, j’embrasse à pleine bouche votre barbe.

Alpaca allait répliquer, quand un heurt léger se fit dans la porte. Madame Fafard entra.

— C’est une lettre qu’on apporte pour Monsieur Alpaca, annonça-t-elle.

— Merci, madame, dit Alpaca en prenant la lettre.

La maîtresse du logis se retira aussitôt. Puis Alpaca brisa l’enveloppe et en tira deux feuilles de papier toutes couvertes d’une écriture fine et serrée.

Pendant quinze minutes Alpaca demeura absorbé par la lecture de cette lettre. Tonnerre épiait avec une ardente curiosité les impressions que cette lettre pourrait mettre sur le visage de son compère. Mais ce visage, toujours sévère et grave, demeura de marbre.

Enfin, Alpaca termina sa lecture, tendit la lettre à Tonnerre et dit :

— Lisez à votre tour, puisque cela vous concerne comme moi.

— De qui donc est cette lettre ? demanda Tonnerre.

— De Mademoiselle Henriette.

— Pas possible ! s’écria Tonnerre avec stupeur.

— Lisez, vous verrez bien ! J’espère qu’après cette lecture vous serez convaincu.

Tonnerre prit la lettre d’une main tremblante et lut à haute voix l’en-tête ainsi conçu :

Le Corona, vendredi, huit heures du soir.

Instructions à Mtres Alpaca et Tonnerre, relatives à Pierre Lebon, par William Benjamin…

Et Tonnerre de plus en plus ébaubi lut à son tour ces instructions mystérieuses dont nous aurons bientôt la clef dans l’épisode suivant qui a pour titre :

Les Amours de William Benjamin !


FIN