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Page:Lebel - La valise mystérieuse, 1930.djvu/6

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LA VALISE MYSTÉRIEUSE

— Je vous écoute, monsieur.

Voilà : seriez-vous disposé à nous céder, moyennant une somme de cent mille dollars, tous vos droits de propriété à l’invention ?

À l’énonciation de ce chiffre, le jeune homme ne put réprimer un tressaillement de joie, et une vive rougeur empourpra son visage timide. D’une voix tremblante, il répondit :

— Monsieur Conrad, je me demande si je peux vous donner une réponse.

— Comment cela ? fit l’ingénieur avec surprise.

— Parce que, répliqua le jeune inventeur en esquissant un sourire légèrement ironique. Je crains que vous ne vous moquiez de moi !

— Moi… me moquer ! s’écria Conrad plus étonné encore d’une telle réplique. Mais de suite il crut saisir la pensée du jeune homme. Il ajouta, pendant que ses yeux clignotaient très fort :

— Aurais-je émis un chiffre inférieur à vos prévisions ?

— Nullement, sourit le jeune homme. Mais cent mille dollars me paraissent une somme fabuleuse. Jamais chiffre pareil n’a effleuré mon esprit ou doré mes calculs !

— Je vous comprends, sourit à son tour l’ingénieur. Ainsi donc la somme offerte vous agrée ?

— Au point, monsieur, qu’en cette minute précieuse je crois faire un rêve d’or !

— Seulement, rectifia James Conrad, nous ne nous engageons pas à vous verser le tout séance tenante. Cela nous serait impossible en ce moment. Mais nous sommes disposés contre signature d’une entente que j’ai fait préparer, à vous payer le quart de la somme susdite : C’est-à-dire VINGT-CINQ MILLE DOLLARS. Cela vous va-t-il ?

— Cela me va admirablement ! s’empressa de répondre Pierre Lebon avec une physionomie rayonnante.

Peu fortuné et désireux de se créer une situation honorable et aisée en même temps qu’un foyer confortable, Pierre Lebon voyait la fortune lui sourire à l’improviste et l’avenir se dorer et s’offrir plein de délices et de rêves inespérés.

Depuis un an il avait ardemment travaillé ; et pendant que son esprit actif et tenace demandait au problème récalcitrant la solution heureuse et définitive, le cœur palpitait tour à tour de crainte et d’espoir au souvenir de celle dont, en son âme, il conservait religieusement la pieuse image. Pour le jeune ingénieur le succès de l’esprit pourrait être en même temps le succès de son cœur, c’est-à-dire la matérialisation de ses rêves de jeunesse. Et ces rêves se résumaient en un nom seulement : HENRIETTE !

Sans contredit, l’offre de Conrad était honnête et large. Nous avons dit qu’il jouissait d’une réputation de droiture… il le prouvait. L’extérieur de probité qui se dégageait de toute sa personne n’était pas, chez lui, ce masque dont s’affublent tant d’hommes d’affaires, sournois et rusés, qui ne songent qu’à prendre tout aux autres.

Certes, il eût été facile à James Conrad de stipuler sur la jeunesse inexperte du jeune inventeur comme sur sa pauvreté, et de se faire céder pour une bouchée de pain, peut-être, une invention susceptible de rapporter à son auteur une fortune considérable. Que si Conrad avait eu la certitude d’une telle fortune il y avait les risques que présentait l’entreprise. Et ces risques étaient d’autant plus graves que Conrad n’était pas millionnaire, ni Dunton, son associé. Ce risque n’était pas la perte éventuelle de quelques milliers de dollars seulement, mais la ruine de leur situation, la misère pour leurs familles, sans compter les grosses responsabilités morales et financières qu’ils avaient contractées vis-à-vis de leurs actionnaires et créanciers.

En effet, James Conrad et Robert Dunton avaient créé la « Conrad-Dunton Engineering Company » avec un capital de deux millions souscrit et versé par deux ou trois cents actionnaires.

Ils avaient érigé une importante usine pour la fabrication de moteurs électriques et à gaz, de dynamos et de voitures automobiles. Après la déclaration de guerre, en août 1914, ils s’étaient engagés dans la fabrication des munitions de guerre, ce qui avait nécessité un agrandissement considérable de l’usine et l’installation de machines particulières très coûteuses. Si bien qu’en ce mois de mai 1917 — date où commence notre récit — la « Conrad-Dunton Engineering Company », étouffée d’obligations, courait très fort le risque de passer un de ces prochains matins aux mains des liquidateurs, pour peu que se présentât quelque fâcheuse circonstance.

En cette occurrence, l’offre faite au jeune inventeur par James Conrad était assurément généreuse, aussi, à l’acquiescement du jeune homme, Conrad répondit :

— Très bien, monsieur Lebon, nous allons conclure immédiatement.

Il appuya sur un timbre électrique à portée de sa main, et, l’instant d’après, une porte, à laquelle Pierre Lebon tournait le dos, s’ouvrit doucement livrant passage à une jeune fille.

Le jeune homme tourna la tête et ses regards croisèrent ceux de la jeune fille. Lui et elle se sourirent discrètement… ce furent deux sourires pleins de caresses, pleins d’amours irrésistibles !

— Mademoiselle Henriette, demanda Conrad, avez-vous fait transcrire à la machine cette petite convention que je vous ai dictée ce matin ?

— Oui, monsieur, répondit la jeune fille d’une voix limpide et douce. Je cours la chercher.

D’un pas alerte et vif elle rentra dans le cabinet voisin pour revenir peu après apportant deux feuilles de grand papier imprimées au dactylotype. Elle posa ces feuilles sur le bureau de l’ingénieur, disant d’une voix harmonieuse :

— Selon vos instructions, j’ai fait faire cette convention en duplicata, et, comme vous le pouvez voir, Monsieur Dunton y a déjà mis sa signature.

— Très bien. À présent, voulez-vous faire écrire par le trésorier un chèque de vingt-cinq mille dollars à l’ordre de Monsieur Pierre Lebon ?

Cette jeune fille, que Conrad avait appelée « Henriette », lança un coup d’œil admiratif au jeune homme ; lui, eut un sourire rempli de promesse.