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LA VALISE MYSTÉRIEUSE

Grand et distingué, vigoureux en dépit de ses soixante-huit ans, le P. Labrosse s’était occupé toute la journée de ses devoirs cléricaux et de quelques travaux. Suivant une habitude, il s’en fut passer la soirée avec les officiers dè la traite au poste voisin ; comme il s’apprêtait à en repartir, il dit aux assistants : “Mes amis, ceci est ma dernière veillée avec vous. J’ai eu une révélation spirituelle qui m’a appris que mon travail sur la terre est terminé et que je mourrai cette nuit. La cJoehe de l’église annoncera le moment de ma mort. Venez à moi si vous voulez, mais ne touchez pas mon corps, car c’est M. Compain qui doit m enterrer, v ous le trouverez a i ne aux Coudres. Adieu !”

Le groupe écouta incrédule mais crintif. On résolut d’attendre les événements. Alors, à minuit, ding, dang, dong, lentement la cloche sonna comme le glas d’une âme qui s’en va. La nuit était sombre et la vague agitée. Pourtant, quelques pieux habitants accoururent à l’église, où ils trouvèrent le bon Père étendu mort sur le marche-pied de l’autel, ses mains jointes en croix devant sa figure, comme s’il avait été ébloui par une grande lumière.

Au matin, les veilleurs virent une mer furieuse s’étendant entr’eux et les soixante milsle de l’île aux Coudres. Mais comme ils sortaient un bateau pour franchir la distance, un passage d’eau lisse s’ouvrit en avant d’eux, comme autrefois se séparèrent les eaux de la mer Rouge au passage de Moïse, et ils purent atteindre en sûreté l’île aux Coudres. M. Compain les attendait sur la rive, son bréviaire à la main. La cloche de son église avait aussi tinté mystérieusement, à minuit, et un “murmure dans l’air” lui avait annoncé la fatale nouvelle. Il s’en alla donc avec les voyageurs à Tadoussac, où il remplit l’office des morts.

On apprit plus tard que la cloche de chaque paroisse où le pieux missionnaire avait servi s’était aussi mise en mouvement, sans être touchée, cette nuit-là. Telle est la touchante légende qu’on entretient là-bas sur la mort du P. Labrosse qui mit, dit J.-C. Taché dans ses Forestiers et Voyageurs, la dernière main à cette belle chrétienté montagnaise, si pleine de foi et de piété.

Gérard MALCHELOSSE.

EN MARGE DE L’HISTOIRE

Les Picards au Canada

Nos ancêtres sont venus d’un peu partout en France, mais surtout du nord, du nordouest, de l’ouest, et des provinces adjacentes. La Picardie a fourni un assez fort contingent de colons au XVIIe siècle, mais il était venu des Picards dès le siècle précédent. Le premier Picard dont il soit fait mention dans l’histoire du Canada est le baron Jean de Poutrincourt.

Jean de Biencourt, baron de Poutrincourt, deuxième gouverneur de Port-Royal en Acadie, naquit en 1557 ; il servit dans l’armée de la Ligue, sous le duc de Guise, de 1587 à 1589 ; se rallia au parti du Roi en 1595, fut fait chevalier et gentilhomme de la chambre, et il reçut le commandement de six compagnies. Il épousa en 1590, Claudine Pagot, et-eut sept enfants. Il accompagna son ami le sieur De Mont en Acadie avec l’intention de s’y fixer avec sa famille. Il reçut la concession d’un fief dans la baie de Port-Royal en 1604, et deux ans plus tard, il apportait des provisions à ce poste où il arriva le 25 juillet en compagnie de Marc Lescarbot son panégyriste, et Louis Hébert, apothicaire parisien, qui devint plus tard le premier cultivateur de Québec. M. de Poutrincourt construisit plusieurs habitations et fit faire de la culture. Il hemplaça M. de Monts comme gouverneur de la jeune colonie. L’hiver de 1606-1607 fut doux. Lescarbot fonda l’ordre du Bon Temps et cette saison se passa d’une manière agréable. Le 24 mai 1607 un messager apportait la nouvelle de la révocation du privilège de traite de M. de Monts, et la colonie fut abandonnée, tout le monde repassa en France. Le vieux chef Membertou prit soin de l’endroit déserté espérant ïéprompt retour des Français dont il était devenu le grand ami. A Paris, le baron de-Poutrincourt eut une audience du Roi et obtint la confirmation de son gouvernement et ; la permission d’exploiter son fief à condition-., d’amener avec lui quelques jésuites pourévangéliser les sauvages. Après trois ansde sollicitation parmi les marchands, il réussit enfin à fréter des navires, et le 25 février- 1610 il fit voile pour Port-Royal avec sont