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Page:Lebel - Le mendiant noir, 1928.djvu/49

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père Turin avec un accent de désespoir impossible à rendre.

— Votre fille ? fit Maubèche étonné.

— Oui, ils me l’ont enlevée ! gémit le mendiant.

Nos deux personnages se trouvaient, à ce moment, placés presque sous la lumière du réverbère. Maubèche jeta un regard circulaire autour de la place, mais il ne vit personne. Puis il regarda le père Turin et vit que ses mains étaient liées. Il trancha les liens.

— Où est-elle votre fille ! questionna-t-il en même temps.

— Ces brigands l’ont emportée. Oh ! Dieu du ciel ! il n’y aura donc jamais de justice dans ce monde…

Poussant un long rugissement de bête aux abois, le mendiant voulut s’élancer à la poursuite de ses ennemis qu’il ne voyait plus.

Maubèche le retint.

— Laissez donc, dit-il, on vous la retrouvera votre fille ! Une fille, ça ne se perd pas comme un gousset, et ça finit toujours par se retrouver. En attendant, père Turin, il faut soigner votre tête, car j’y vois du sang qui coule…

— Oh ! c’est cette canaille de Lieutenant de Police qui a failli m’assommer net du pommeau de son épée !

— Ah ! ah !… Eh bien ! attendez à demain pour reprendre votre revanche !

Maubèche cracha par terre pour ajouter :

— Là, comme vous êtes, vous n’auriez pas le dessus. Venez, je vais vous accompagner chez vous.

Le mendiant se laissa convaincre. Encore tout étourdi, le visage baigné du sang qui découlait de sa tête, chancelant, il s’appuya sur le bras du nain et se laissa docilement conduire, tout en gémissant, en grinçant.

— Oh ! le voleur…le voleur… Il m’a pris ma fille… ma Constance !

Un peu plus d’un quart d’heure après Maubèche frappait dans la porte de la cabane du mendiant.

Quand la porte s’ouvrit projetant dans la noirceur de la ruelle un rayon de lumière, deux cris se confondirent presque en un seul :

— Mon père ! jeta une voix angoissée…

— Constance !… bégaya le père Turin.

Et celui-ci s’élança, saisit la jeune fille dans ses bras et la serra tendrement sur sa poitrine, disant dans un flot de larmes joyeuses :

— Ah ! ça, j’ai donc rêvé tout à l’heure ?… J’avais cru qu’on t’enlevait… des malandrins, que sais-je ?… Mais je te vois là, calme, souriante, un peu inquiète… mais je te vois… je te retrouve ici !…

Il la contemplait de ses yeux rayonnants d’amour paternel !

Tout à coup une main se posa sur son épaule et une voix grave, bien connue, demanda :

— Père Turin, que se passe-t-il encore ?

La jeune fille poussa un cri d’émoi. Le père Turin se retourna brusquement et vit, avec surprise, Philippe Vautrin près de lui.

— Philippe Vautrin !… Il l’avait oublié.

Le regard du mendiant se fit sévère quand il dit :

— Ah ! c’est vous, monsieur Philippe ?… Eh bien ! je compte que l’heure des explications est venue.

— Peut-être, sourit le jeune homme. Auparavant vous allez me dire ce qui est arrivé et tout en se faisant votre fille et votre femme laveront et panseront votre blessure.

— C’est vrai ma blessure… murmura le mendiant en passant sa main sur sa figure tout ensanglantée.

Déjà Constance courait dans la pièce voisine réveiller sa mère qui dormait, puis les deux femmes accouraient avec de l’eau et des linges blancs.

Le père Turin narra la scène de la Place de la Cathédrale et termina par ces paroles :

— Ah ! monsieur Philippe, sans votre fidèle Maubèche je crois bien que je serais mort maintenant !

— Tiens, c’est vrai, Maubèche était là ! sourit, le jeune homme.

— Il est survenu au moment où les gardes allaient m’emmener prisonnier.

— Et où est-il maintenant, Maubèche ?

Il m’a accompagné jusqu’ici, puis il a continué vers votre domicile.

— Bon. Mais, père Turin, savez-vous qui est cette jeune fille que vous avez prise pour la vôtre ?

— C’est un mystère, monsieur Philippe, que je ne comprends pas. Dites, n’est-ce pas une singulière ressemblance ?

— Oui, père Turin, et je connais cette jeune personne ; c’est la nièce de M. de Verteuil.

— La nièce de Verteuil !… cria le père Turin en sursautant sur le siège qu’il occupait, tandis que Constance et sa mère lavaient son visage et sa tête.

Il ajouta sur un ton concentré :

— Ah ! monsieur Philippe je vous l’ai dit, l’heure des explications est venue !