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Il soupira, se tut, et disparut peu après dans la nuit noire.

Cependant, Philippe Vautrin était entré dans sa chambre. Là, il prit quelques papiers qu’il glissa soigneusement sous son gilet, ceignit sa rapière, jeta sa cape noire sur son dos, passa la besace à son cou et sortit à son tour de la cahutte.

Chemin faisant vers la Porte du Palais, il murmurait :

— Demain… oui, demain, enfin, j’aurai accompli les dernières volontés de mon père !


VIII


Après la sortie de Philippe Vautrin, le mendiant s’était abîmé dans ses pensées. Dans la chambre voisine Constance était seule, sa mère s’était retirée dans la petite chambre qu’elle partageait avec son mari. Au travers de la mince cloison qui séparait les deux appartements, Constance avait pu entendre tout ce qu’avait dit à son père Philippe Vautrin. Et maintenant, assise, ou plutôt écroulée sur un escabeau, troublée et agitée, la jeune fille se disait :

— Une sœur !… J’ai une sœur, et je ne m’en doutais pas !… Une sœur malheureuse que je ne connais pas et qui ne me connait point… une sœur jumelle !… Ah ! je veux la voir ! Je veux la sauver !… Elle, la nièce de Monsieur de Verteuil !… Oui, je sais où il demeure. Ma sœur ne peut être sa nièce… je lui arracherai ma sœur ! Oui, j’irai demain… J’irai cette nuit… Oui, cette nuit, quand mon père sera couché ! Il faut que je voie ma sœur… il le faut !

Et Constance se laissa aller dans une profonde rêverie.

Un quart d’heure s’écoula ainsi, puis la jeune fille sursauta sur son escabeau. Elle regarda autour d’elle. Personne. Tout était silence dans la hutte. Une bougie éclairait faiblement la pièce. Constance colla un œil à un interstice dans la cloison : à la clarté d’une bougie vacillante elle vit son père assis dans son fauteuil et paraissait dormir profondément.

Minuit sonna lentement à un beffroi de la haute-ville.

— Oui, j’irai cette nuit, se répéta mentalement la jeune fille qui continuait à suivre le cours de sa méditation.

Puis, fébrilement, et peut-être inconsciemment, elle prit sur un siège son manteau qu’elle y avait jeté à son retour de la haute-ville, s’en enveloppa soigneusement, enfonça le capuchon sur sa tête, et à pas feutrés traversa la pièce en laquelle dormait son père et sortit sans bruit.

Vive et légère, sans peur, elle se jeta dans le dédale de ruelles noires et silencieuses et gagna la Porte du Palais.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Constance savait où se trouvait la maison de commerce de M. de Verteuil, à quelques pas du Séminaire. La maison était précédée d’un jardin, et à l’arrière s’étendait un parc. Un peu de côté se trouvaient les magasins avec leurs volets soigneusement clos. Constance n’eut aucune difficulté à trouver ce qu’elle cherchait, et bientôt elle s’arrêtait devant le jardin. À travers les arbres aux feuilles naissantes, elle perçut la forme sombre de la maison. Aucune lumière ne brillait sur la façade. Mais à gauche un rayon de lumière zébrait l’obscurité du jardin. Cette lumière partait d’une fenêtre du rez-de-chaussée. La jeune fille se dirigea vers cette clarté, après avoir franchi la grille de la palissade qui entourait la propriété. Elle s’arrêta peu après non loin de la fenêtre éclairée. Cette fenêtre était fermée et garnie à l’intérieur de rideaux de dentelle, et elle était trop élevée du sol pour y regarder.

Constance demeura à son point d’observation immobile et indécise. Elle écoutait, car une voix d’homme arrivait faiblement jusqu’à elle, et une voix qui semblait résonner avec des accents de colère. Lorsque la voix de l’homme se taisait, c’était une voix de femme qu’entendait Constance, peut-être une voix de jeune fille, une voix entrecoupée de sanglots. La jeune fille, agitée par une émotion interne, tremblait de tous ses membres. Oh ! comme elle aurait voulu voir dans cette maison !…

Elle aurait vu M. de Verteuil dans un salon, debout, livide, furieux, parlant et gesticulant. Effondrée sur un fauteuil, Constance aurait vu en outre, une jeune fille qui pleurait… c’était Philomène.

Au moment où la fille du père Turin arrivait devant la maison du commerçant, voici ce que disait ce dernier d’une voix sourde et grondante :

— Ah ! mademoiselle, je vous le dis, c’est assez ainsi de fugue et de comédie. J’ai été bon pour vous, j’ai agi mieux que bien des pères : mais s’il le faut, dorénavant j’userai de toute mon autorité, je serai implacable. Vous avez consenti d’épouser Gaston d’Aute-