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vous invite à souper, la table est mise ! Ah ! ça, mais vous êtes blessé !…

Maubèche voyait surtout du sang à la tête et sur le visage du jeune homme.

— Ce n’est rien, répondit Philippe, un coup de crosse de pistolet.

— Bien, fit Maubèche. C’est égal ! venez vous réconforter et vous restaurer !

— Je parie, sourit le jeune homme, que tu es en train de célébrer quelque bonne prise.

— Vous l’avez dit : j’ai trouvé la bauge et la bête dedans, voilà !

Il entraîna Philippe jusqu’à la porte du salon, éleva son candélabre et dit :

— Voyez !

Verteuil demeurait toujours étendu sur le plancher et immobilisé par les ficelles du nain.

— Bien, Maubèche ! dit Vautrin sans regarder plus longtemps Verteuil qui lançait au jeune homme des regards sanglants.

Il ajouta :

— Continue, Maubèche, de manger et de boire tout en veillant sur monsieur ; moi, j’ai rendez-vous ailleurs immédiatement.

— Alors, je vous attendrai encore ?

— Oui. Seulement, prends garde de te laisser tenter par ce gentilhomme.

— Oh ! se mit à rire le nain, il m’a déjà passablement tenté, le démon qu’il est !

— Ah ! ah ! tu t’es laissé tenter ? demanda sévèrement Vautrin.

— Que voulez-vous, monsieur, je suis faible ; mais je ne me suis pas laissé gagner.

Philippe Vautrin sourit.

— Ah ! vous ne pouvez pas vous imaginer, monsieur, reprit Maubèche avec un accent sardonique, ce qu’il m’a offert ? Palais, or et argent… Domestiques, équipages… Et… et voyez…

Il indiqua le portrait de la belle jeune fille.

Philippe Vautrin connaissait ce portrait pour l’avoir bien souvent peut-être regardé avec amour. Il lui jeta encore un regard d’admiration.

— Et ? fit-il interrogativement.

— Et cette délicieuse jeune fille… compléta le nain.

— Pourquoi ? fit Vautrin avec surprise.

— Pour être ma femme, répondit sérieusement le nain.

Philippe éclata de rire.

— Ah ! bien, vous riez, monsieur ? Vous avez raison, j’ai fait comme vous. Tout de même, dites-moi, est-ce que ça ne prend pas un animal pour…

— Pour t’offrir cette demoiselle ?…

Le jeune homme s’interrompit pour se pencher à l’oreille de Maubèche et ajouter à voix basse :

— Ce n’est ni sa nièce, ni sa fille…

— Non ?… fit avec étonnement Maubèche.

— C’est la fille de Pierre Nolet !

— Hein ?…

— La sœur de Constance !

Le nain chancela, et pour ne pas échapper son candélabre, il le posa sur le guéridon.

— De grâce, monsieur, cria-t-il en même temps, attendez… pas coup sur coup comme ça… Laissez-moi boire, je vais m’évanouir !

— C’est bien ! Bois, mange et veille !

Et sur ce Philippe Vautrin s’en alla.

Maubèche s’assit et regarda longuement le portrait de Mlle de Verteuil. Puis il tira de sous ses vêtements un médaillon retenu à son cou par une petite chaîne d’argent, il le considéra un moment avec amour et murmura :

— C’est curieux… comme ça lui ressemble !… La sœur de Constance !… La fille de Pierre Nolet !…

Il soupira. Puis soudain :

— Allons ! ajouta-t-il, que je boive, sinon je vais mourir !…

Laissons Maubèche et son prisonnier pour revenir à Mlle de Verteuil.


XI

LES DEUX SŒURS !


Philomène, en quittant la cambuse du père Turin, avait eu l’idée de courir au château pour y demander du secours au gouverneur. Elle courait, et dans son affolement elle ne cessait de répéter :

— Non… ce n’est pas mon père… ce n’est pas ma mère !

Pendant qu’elle courait ainsi, Gaston d’Auterive arrivait au château avec la jeune fille qu’il avait enlevée dans ses bras dans le jardin de Verteuil. Il alla déposer précieusement son fardeau sur un sofa dans un salon voisin du vestibule.

Alors, la jeune fille qu’il avait cru reconnaître pour Mlle de Verteuil reprit connaissance, s’assit brusquement et se mit à considérer avec une stupeur indéfinissable le