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tant et surveillant, dans la nuit la fête de la noblesse et de la bourgeoisie, ce fut la noblesse qui dehors assista à la fête ; car les mendiants avaient eu les premiers le privilège d’entrer dans la maison qui se trouvait trop petite pour contenir toute la population. Car, de fait, toute la population de la cité était réunie là, dedans et dehors…

Pourtant, à cette fête il est des personnes de notre récit qui n’y participèrent pas : nous voulons parler de Nolet et de sa fille Constance. À cause de leur deuil tout récent ils s’étaient abstenus de venir au bal ; ils s’étaient bornés à assister à la messe de mariage le matin et à faire leurs souhaits de bonheur aux nouveaux époux pour aller se renfermer ensuite dans leur baraque de la Cité des Mendiants.

Philomène, cependant, avait voulu retenir la fille du mendiant.

— Constance, avait-elle dit, je vous demande de venir vivre avec nous, voulez-vous ?

Pâle et troublée, la jeune fille avait répondu :

— Madame, je dois rester avec mon père !

Mais Philippe était intervenu à son tour :

— Nolet, venez faire maison commune avec nous, je vous en prie de même que Philomène en prie Mademoiselle Constance !

— Plus tard, peut-être ! répondit Nolet avec un sourire triste. Vivez maintenant de votre joie, monsieur Philippe, nous nous avons un deuil avec lequel nous voulons demeurer au moins une année. Après… eh bien ! Dieu décidera !

Le soir de ce jour, le père et la fille demeuraient renfermés dans leur cabane de la Cité des Mendiants où tout était désert et silence.

Vers les neuf heures, alors qu’on entendait descendre de la ville haute les bruits de la fête, quelqu’un frappa à la porte de l’ancien mendiant.

Nolet alla ouvrir. Il aperçut dans l’ombre un personnage qui se tenait debout et immobile. D’abord, il ne le reconnut pas.

— Désirez-vous me voir, monsieur ? interrogea-t-il.

— Si vous permettez, monsieur Nolet.

— Entrez !

L’inconnu obéit. Alors la clarté d’une lampe éclaira le personnage. Nolet tressaillit. Constance se leva vivement, et murmura, confuse et rougissante :

— Monsieur le Lieutenant de Police !…

Oui, c’était Gaston d’Auterive. Mais non plus ce jeune homme hautain, élégamment vêtu, dominateur ; mais un jeune homme au sourire doux et triste, vêtu de velours noir, sans ornements, sans épée.

— Monsieur, dit-il à Nolet, après s’être incliné devant Constance, me permettrez-vous de vous entretenir quelques instants ?

— Daignez vous asseoir, monsieur, répondit Nolet en offrant un siège à son visiteur. Puis il fit signe à Constance de se retirer.

— Pardon, monsieur ! reprit d’Auterive. Je désire que mademoiselle demeure ; car ce que j’ai à vous confier l’intéresse autant que vous-même.

Constance, qui s’était levée, se rassit, intriguée, et regardant le Lieutenant de Police avec des yeux brillants, mais dans lesquels il n’y avait ni rancune ni mépris.

— Je dois vous dire d’abord, commença le jeune homme, que je ne suis plus Lieutenant de Police, je me suis démis de mes fonctions. Ensuite, par le testament de mon oncle, Monsieur de la Jonquière, j’hérite cent mille livres et un beau domaine en Louisiane…

Il s’interrompit pour regarder profondément Constance. La jeune fille baissa les yeux, troublée par un pressentiment qui la bouleversait depuis un moment.

D’Auterive poursuivit :

— Monsieur Nolet, j’ai commis bien des fautes, je m’en accuse et m’en repens. Je me rappelle qu’une nuit, par une méprise extraordinaire et une coïncidence inexplicable, je me suis trouvé en présence de mademoiselle, et sa beauté et sa bonté m’ont touché. Depuis, je n’ai cessé de penser à elle, et ce soir je suis venu lui offrir ma main et mon nom. Si elle accepte, je m’engage à en faire la plus heureuse des femmes : si elle refuse, je vous demanderai, à vous, monsieur, et à vous, mademoiselle, d’oublier à tout jamais cette démarche que j’entreprends.

Un silence se fit.

Nolet regardait le jeune homme avec stupeur ; puis il considérait sa fille qui, rougissante, belle à ravir dans ses vêtements de deuil, demeurait paupières baissées et mains jointes sur ses genoux.

— Monsieur, dit enfin l’ancien mendiant, votre démarche m’honore, je crois que vous êtes un gentilhomme qui ferez honneur à votre rang, et je sais que vous appartenez à une famille très distinguée ; mais, je n’ai rien à dire ni à décider : ma fille est libre et de sa main et de son cœur !

Gaston d’Auterive reporta ses regards anxieux sur Constance qui venait de relever