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LES AMOURS DE W. BENJAMIN

— Nous désirons seulement, dit Tonnerre à son tour, vous soulager de cette lourdeur massacrante.

En même temps que ces paroles il posait une main résolue sur la poignée de la valise.

— Observez, cher monsieur, reprit Alpaca, que nous vous serons d’une protection effective contre les détrousseurs d’honnêtes gens.

— Ah ! ça, lâchez donc ! hurla Tonnerre qui cherchait vainement à desserrer la poigne solide de l’Allemand.

— Prenez donc les bons moyens, maître Tonnerre ! conseilla Alpaca.

Tonnerre ne se fit pas répéter la recommandation. D’un mouvement rapide comme la pensée il se baissa et mordit à pleines dents la main de Grossmann.

Grossmann poussa un cri de douleur et lâcha prise.

— À la bonne heure ! dit Alpaca.

Mais au cri poussé par Grossmann des ombres humaines surgirent tout à coup d’une sombre encoignure à quelques pas de là, et s’élancèrent au pas de course du côté de nos amis.

— Alerte ! cria Tonnerre.

— En avant ! rugit Alpaca.

Et d’un solide coup d’épaule ce dernier envoya l’Allemand rouler à dix pas sur la chaussée et suivi de Tonnerre qui s’était emparé de la valise, partit dans une course de géant.

Les deux compères n’allèrent pas loin. Ils s’arrêtèrent net en apercevant trois hommes qui, avec une attitude résolue, s’avançaient à leur rencontre.

— Bon ! dit Tonnerre, nous voilà pris entre deux feux !

— Bah ! fit Alpaca avec un grand dédain, qu’est-ce trois hommes pour nous ?

— Certes, j’avoue que c’est peu de chose. Mais remarquez qu’il peut s’en suivre une bagarre, et dans une bagarre on ne sait jamais ce qui arrive. Il peut aussi s’en suivre que nous perdions cette magnifique valise ! Voilà donc un risque que je ne me conseille pas de prendre !

— Vous avez raison, Maître Tonnerre. Eh bien ! puisque la porte d’arrière et celle d’avant nous sont fermées, passons par celle d’à côté !

— Laquelle ? demanda Tonnerre avec surprise.

— Celle-ci ! dit Alpaca en indiquant une haute palissade qui fermait une cour très noire.

— Allons ! acquiesça Tonnerre.

Aussitôt et avec une agilité remarquable les deux anciens pitres sautèrent la palissade pour tomber dans la cour, au fond de laquelle s’élevait une maison aux fenêtres closes et obscures.

Tous deux s’avancèrent à pas de loup vers la maison, avec l’espoir de trouver à l’arrière une issue qui les conduirait sur quelque ruelle noire et déserte.

Mais comme ils atteignaient la maison, les hurlements d’un chien à la chaîne s’élevèrent dans la nuit paisible. Puis un châssis à l’étage supérieur glissa brusquement dans ses rainures, une tête d’homme se pencha par l’ouverture. Alpaca et Tonnerre levèrent les yeux. Ils virent le bras de l’homme s’allonger dans leur direction, et au bout de ce bras un revolver.

L’homme, en même temps, rugissait d’une voix de stentor :

— Au voleur !

— Tais-toi, animal ! cria Tonnerre.

Mais la voix de ce dernier fut couverte par deux coups de feu.

— À terre ! clama Alpaca.

Ce disant il s’aplatit sur le sol, exemple que suivit promptement Tonnerre.

— Au voleur ! au voleur ! répéta la voix effarée du propriétaire de la maison.

— Nous les tenons ! firent des voix à quelques pas de là. Et six hommes se précipitèrent bientôt et tombèrent sur Alpaca et Tonnerre qui ne voulurent offrir aucune résistance.

— Tenez bien ! cria l’homme à la fenêtre, je descends vous éclairer !

À ce moment accourait Grossmann jurant et criant :

— La valise !… la valise !… Otez-leur la valise !

— Quelle valise ? demanda l’un des trois hommes qui maintenaient Alpaca.

— La valise qu’ils m’ont volée, les brigands !

Tous les regards fouillèrent l’obscurité qui régnait autour. Puis un autre demanda :

— Voyez-vous une valise par ici, vous autres ?

— Aucune ! répondit une voix.

— Du diable si l’on peut y voir des valises dans cette noirceur ! grommela un autre.

À cette minute le propriétaire de la maison apparaissait sur le perron, tenant une lampe d’une main et son revolver de l’autre. Et cet homme, tout frémissant de terreur, demanda :

— Dites donc, tenez-vous encore les voleurs ?

Mais alors, au lieu de policiers qu’il s’était imaginé trouver là, le propriétaire reconnut des militaires.

Et l’un d’eux répliqua :

— Des voleurs, dites-vous ? Mieux que ça, mon vieux, ce sont des espions !

— Des espions ! répéta le propriétaire ahuri. Dans ce cas, débarrassez-en mon terrain au plus vite.

— Patience ! ça va être fait !

— Mais ma valise ! rugit Grossmann… il faut trouver ma valise !

Dans le cercle de lumière pâle décrit par la lampe que tenait le propriétaire, on se mit à chercher. On fouilla minutieusement les alentours, Après quelques minutes de recherches inutiles, l’un des militaires se tourna vers Grossmann et lui dit d’une voix bourrue :

— Tu vois bien, l’homme, qu’il n’y a pas de valise ici.

— À moins que celui-ci ne l’ait mangée ! ricana un des soldats en enfonçant son genou dans le ventre d’Alpaca, qui fit entendre une plainte de douleur.

— C’est plutôt ce petit vieux ! nargua un autre, car il m’a l’air joliment ventru !

Et, imitant le geste de son camarade, il donna un dur coup de genou dans l’abdomen arrondi de Tonnerre.

Tonnerre poussa un hurlement de douleur…

— Non, dit le soldat en riant, il n’y a rien là-dedans que du vent !

Grossmann, pestant, jurant, se mit à chercher sa valise par toute la cour.

Les soldats ne s’en occupèrent plus, et comme ils avaient des ordres, ils entraînèrent Alpaca