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LES AMOURS DE W. BENJAMIN

dont parlait le colonel, c’est-à-dire Alpaca et Tonnerre, avaient été arrêtés par les soldats.

Et l’auto, qui avait emporté nos deux amis, après avoir traversé la ville et pris le chemin de la Longue-Pointe, s’était arrêtée devant une maison inhabitée tout enfouie dans un bouquet d’arbres, non loin du fleuve.

La maison n’avait qu’un rez-de-chaussée et un étage. Elle était complètement dénudée. Les soldats firent entrer leurs prisonniers dans un grand hall et s’arrêtèrent devant une porte placée sous l’escalier qui s’élevait vers l’étage supérieur. Le caporal ouvrit cette porte et dit à ses hommes :

— Vous allez me fourrer ces deux espions dans cette cave, en attendant les ordres du colonel. Puis deux d’entre vous garderont la porte, et deux autres iront garder le soupirail dans la cour. Allons ! ouste…

Cet ordre fut aussitôt exécuté.

Sans un mot ni un geste de résistance Alpaca et Tonnerre se laissèrent pousser dans la cave dont ils dégringolèrent le raide et sombre escalier.

Le caporal verrouilla la porte. Une fois que deux hommes furent postés à cette porte et deux autres au soupirail dans la cour, il dit au soldat qui lui restait :

— Nos prisonniers sont en sûreté et le diable seul pourrait les sortir de là. Quant à nous, nous allons reprendre l’auto pour aller informer le colonel que ses ordres ont été exécutés, puis nous reviendrons avec quelques provisions.

Il cligna de l’œil à son compagnon avec un air entendu, et tous deux gagnèrent l’auto qui, bientôt, reprenait à toute vitesse le chemin de la cité.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

— Eh bien ! cher Maitre Alpaca de mon cœur, que déduisez-vous de cette bonne aventure ?

Dans la noire humidité de la cave la voix aigrelette de Tonnerre résonnait en échos sardoniques et sinistres.

— Pour le moment, cher ami, répondit la voix plus caverneuse d’Alpaca, j’ai le regret de ne trouver aucune déduction.

Deux soupirs énormes traversèrent le silence funèbre qui plana après ces paroles.

— Pourtant, reprit Tonnerre au bout de quelques minutes, nous ne pouvons, sans courir le risque d’affecter nos précieuses santés, demeurer dans cette noirceur humide et moisie.

— Je suis en tout de votre avis, cher Maître Tonnerre ; et je médite en cet instant précis sur les avantages imprécis de cette maxime plus imprécise encore : « Cherche, et tu trouveras ! »

— Que voulez-vous chercher en cette occurrence ?

— Une porte donc !

— Une porte !… ricana aigrement Tonnerre. Hélas ! je n’en vois qu’une, et bien gardée encore !

— Maître Tonnerre, réprimanda sévèrement Alpaca, souvenez-vous qu’il y a toujours deux portes !

— Oui, je me souviens : la porte par laquelle on entre et la porte par laquelle on sort !

— Vous voyez bien !

— Oui, je vois, ou plutôt je sais où trouver la porte par laquelle on descend dans ce tombeau : mais à la porte par laquelle on en sort… chi lo sa !

Le silence se fit de nouveau entre les deux amis. Or, à cet instant, la cave eût été subitement illuminée, on aurait pu voir Maître Tonnerre assis sur la dernière marche de l’escalier, les coudes sur les genoux, la tête dans les mains et la physionomie fort perplexe.

Quant à Maître Alpaca, il avait trouvé, en tâtonnant, quelque chose qui lui avait semblé une caisse vide quelconque sur laquelle il s’était incommodément assis. Et pendant qu’il cherchait en son profond cerveau la déduction miraculeuse demandée par Tonnerre, ses doigts distraitement et fébrilement tiraillaient sa barbe.

Le silence dura longtemps.

L’unique bruit qu’on pût entendre était le murmure de deux voix d’hommes qu’on saisissait confusément, et ces voix étaient celles des deux soldats qui gardaient la porte là-haut. Les deux disciples du dieu Mars se contaient de petites histoires, non par goût de faire la causette. mais uniquement pour écarter le sommeil qui alourdissait leurs paupières.

Enfin, Tonnerre parla de nouveau :

— C’est égal ! dit-il avec un lourd soupir, pourvu qu’on sorte de ce trou demain ou après-demain ; et pourvu, après en être sortis, que nous retrouvions notre valise !

— Au fait, fit Alpaca, cette valise… je l’avais oubliée tout à fait. Dites-moi donc, Maître Tonnerre, ce que vous en avez fait !

— La chose est simplette, ricana Tonnerre, je l’ai mise dans une armoire !

— Hein ! exclama Alpaca avec surprise.

— C’est comme je vous le dis.

— Pas dans une armoire de cette maison où nous avons été arrêtés cette nuit ?

— Mais oui, dans cette maison même.

— Maître Tonnerre, s’écria gravement Alpaca, gardez-vous de vous moquer de moi !

— Ne vous formalisez pas, cher Maître de mon cœur. Je m’expliquerai en ajoutant que l’armoire en question est une cave tout aussi jolie et logeable que celle que nous avons le plaisir d’habiter en ce moment.

— Je ne comprends pas.

— Je m’expliquerai davantage. Écoutez. Vous vous rappelez bien, ayant si bonne mémoire, que, juste au moment où ce benêt de proprio nous tirait dessus, vous criâtes : À terre !…

— Je me rappelle parfaitement la circonstance.

— Vous vous rappelez aussi que je vous précédais de quelques pas et que je touchais presque à la maison ?

— Je crois me rappeler ce détail.

— Or, au moment où j’obéissais à votre recommandation, je distinguai vaguement une légère ouverture pratiquée dans le socle de la maison… c’était un soupirail. Me saisissez-vous, cher Maître ?

— Non, je vous écoute seulement, sourit Alpaca.

— Très bien. Voilà donc ce qui arrive : ce soupirail aperçu soudain fait naître en mon esprit avisé une idée lumineuse. Je fourre la valise