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LES AMOURS DE W. BENJAMIN

Qu’importe ! j’ai foi en lui pour ces sortes d’affaires. Mais une chose certaine, c’est que je tiens Lebon. Une autre chose, c’est que je suis sur le point de déchiffrer ce William Benjamin qui m’intrigue toujours. Et une autre chose encore, c’est que Rutten est devenu tout à fait ma chose, mon esclave, et ce ne sera plus cent mille dollars, mais deux cent mille qu’il aura à me verser ou à me faire verser ! Et alors, ce pauvre Rutten, comme il saura trop de choses sur mon compte et que, avec l’âge qui avance, il pourrait devenir indiscret — ce qui nuirait à ma sécurité — je l’enverrai faire un voyage… Mais non en Allemagne d’où il pourrait revenir, mais dans l’autre monde d’où l’on ne revient jamais ! Du reste, il a assez vécu, et quelques années de moins…

Un ricanement sardonique compléta sa pensée.

Alors, elle consulta l’heure au cadran enchâssé dans l’un des clochetons de la bibliothèque.

— Onze heures et demie ! dit-elle. Allons ! je vais déjeuner.

Elle se leva, marcha jusqu’à un petit miroir appendu au mur, donna un tour de main à sa magnifique chevelure, se sourit ironiquement, puis à pas lents traversa le fumoir pour gagner sa chambre à coucher. Mais avant de franchir le seuil de la porte, elle s’arrêta pensive, et murmura :

— Où donc vais-je aller déjeuner ce midi ?…

Elle médita une minute. Puis un nouveau sourire narquois glissa sur ses lèvres humides et rouges, et elle acheva par ces paroles sa pensée :

— Bon… je vais à l’hôtel Américain !…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Il passait trois heures de l’après-midi, ce même jour, lorsque deux hommes, dont l’un, — un grand gaillard à physionomie peu recommandable, — était porteur d’une petite valise de voyage, s’arrêtèrent à quelques pas de l’Hôtel Américain et se mirent à causer à voix basse.

Après un entretien de cinq minutes environ, le gaillard porteur de la valise se dirigea d’un pas délibéré vers l’entrée principale de l’hôtel et pénétra dans l’intérieur.

Le personnage demeuré à l’extérieur était plutôt de frêle apparence ; vêtu d’un habit à couleurs d’arc-en-ciel, coiffé d’un feutre mou et mains gantées, il s’appuyait sur une canne de jonc. Sa figure maigre et plissée avec un teint parcheminé, et les quelques cheveux grisonnants qu’on apercevait aux tempes annonçaient l’homme de la cinquantaine et au delà. Sur son nez mince et aquilin était posé un lorgnon à verres violets.

Cet homme paraissait un peu agité, et souvent il promenait autour de lui des regards furtifs et soupçonneux.

Pénétrons dans l’hôtel et rejoignons le premier individu.

Nous le trouvons en train d’inscrire son nom dans le livre des hôtes sous le regard attentif d’un employé.

Et l’inscription que cet homme a faite se lisait ainsi :

Samuel Longford. Albany. N. Y.

L’employé appuya sur un timbre et la minute suivante, un garçon en livrée se présenta, prit la valise du voyageur et, suivi de ce dernier, gagna l’ascenseur qui s’éleva peu après vers les étages supérieurs.

Un quart d’heure s’était écoulé, quand le personnage que nous avons laissé dehors se présenta au bureau de l’administration.

— N’avez-vous pas ici un monsieur Longford, d’Albany ? demanda-t-il.

— Oui, monsieur, répondit l’employé avec la plus grande courtoisie : ce monsieur s’est inscrit tout à l’heure.

— Ah ! enchanté… fit le personnage avec satisfaction. Puis-je monter à son appartement ?

— Certainement. No 335… Je vais vous faire conduire !

— Non, c’est inutile, merci. Je connais la maison.

Et sans attendre l’approbation ou la désapprobation de l’employé, l’inconnu se dirigea vers l’ascenseur et monta.

L’instant d’après, il pénétrait dans la chambre No 335, fermait la porte soigneusement, et disait à Samuel Longford d’une voix quelque peu nasillarde :

— Enfin, nous sommes dans la place. Avez-vous appris le numéro de Kuppmein ?

— Oui, d’une fille de chambre… No 321.

— Et celui de Lebon ?

— Juste en face… 320.

— Très bien. Maintenant montrez-moi la clef de cette porte.

— Voici.

Le personnage au lorgnon violet tira d’une poche un fort trousseau de clefs qui, par leur diversité, eussent fort émerveillé un cambrioleur de bonne maison, il se prit à comparer minutieusement la clef de l’hôtel avec chacune des clefs du trousseau.

Enfin, il regarda Longford et dit :

— Que pensez-vous de cela ?

Et il plaçait sous les yeux de l’autre la clef de l’hôtel et l’une des clefs du trousseau.

— Pas mal, répondit Longford avec un sourire.

— Hein ! ricana le petit personnage, je crois que nous avons le passe-partout !

— Essayez-la, proposa Longford en indiquant la porte.

— C’est juste.

D’un pas alerte l’homme au lorgnon alla à la porte, introduisit la clef du trousseau dans la serrure, et celle-ci, à sa grande satisfaction, fonctionna à merveille.

Alors, il retira la clef et dit :

— À l’œuvre donc ! Vous, faites le guet dans le corridor pendant que j’agirai dans l’appartement de Lebon ou dans celui de Kuppmein. Si, par cas, un employé venait à passer, un premier accès de toux m’en préviendra, puis un second me signifiera que le corridor est libre, et je pourrai sortir sans danger d’être surpris.

— Très bien, approuva Samuel Longford.

Puis le personnage au lorgnon ouvrit la porte et inspecta le corridor.